dimanche 1 septembre 2013

Le jeu de rôle, un loisir perclus de vieilles habitudes ?

Avant-propos: le jeu de rôle est un loisir qui date maintenant de presque 40 ans, et même s'il a beaucoup évolué depuis ses premières années et sa naissance issue des Wargames, je trouve consternant de lire encore aujourd'hui des conseils du type de ceux présentés dans ces deux articles du GROG:  "Etre un meilleur joueur de JdR" & "Etre un meilleur maître de jeu". Bon, tout n'est pas à jeter, loin s'en faut, mais il y a vraiment des assertions qui m'ont fait bondir, en voici quelques unes, sans ordre de non-préférence:

  • Le maître de jeu vient avec un scénario, vous venez avec votre bonne volonté, et votre fiche de personnage. Cette bonne volonté doit d’abord s’incarner dans une attitude positive par rapport à l’histoire, au monde, et aux enjeux du scénario.
  • A toi d’improviser, soit pour répondre à leurs actions si elles sortent du cadre, soit pour les remettre discrètement sur le fil conducteur sans jamais leur donner l’impression de les manipuler.
  • Le temps consacré à la préparation du scénario inclura aussi l’avancement des histoires personnelles en réponses aux souhaits formulés par les joueurs à travers leurs actions. Et la grande histoire (le scénario, la campagne) rejoindra la petite histoire (les intérêts personnels des joueurs).
  • Chaque jet de dé lancé doit s’accompagner d’une description dans l’histoire. Il faut progressivement abandonner la mauvaise habitude de dire «mon guerrier donne un coup d’épée et fait 8 points de dégâts», il faut imaginer la scène: «dans un accès de fureur vengeresse, je tente la célèbre botte du héron masqué, et je me fends pour lui ouvrir le ventre».
  • Résiste à la tentation de leur dire ce qu’il faut faire, même si tu as la meilleure idée. A la limite, manipule "en jouant dans le personnage" mais accepte aussi que ce soient leurs idées qui passent même si elles sont moins bonnes.

Comme il est impossible de faire des commentaires sur les pages des articles en question, voici maintenant mon point de vue sur ce qu'il me semble essentiel côté joueurs, MJ et préparation du scénario.

Du côté des joueurs


Nous sommes à une table de jeu de rôle parce que le processus de création en commun d'une histoire est fun. Si ce n'était pour l'histoire, nous jouerions plutôt à un jeu de plateau; si ce n'était pour la participation nous regarderions plutôt un film. Mais pour que cela fonctionne, il faut que plusieurs éléments indispensables soient réunis, à savoir que:

  • les choix effectués aient de l'importance: aucune partie jouée par des participants différents ne devrait se terminer de la même manière; chaque phrase et action devraient avoir un effet ou une conséquence visible en jeu,
  • les descriptions faites aient de l'importance: ce que je décris dans la fiction affecte la mécanique de jeu, cette description a un poids mécanique et n'est pas que de la couleur,
  • les personnages des joueurs aient de l'importance: les personnages ne sont pas les esclaves de l'histoire; mais au contraire l'histoire émerge des choix effectués par les joueurs pour leurs personnages et des descriptions faites.

A partir du moment où ces éléments sont garantis, je peux être assuré en tant que joueur que mon engagement dans la partie ne sera pas vain, et que ma contribution créative sera vraiment prise en compte. Et comme il s'agit d'un jeu en groupe et que plusieurs cerveaux valent plus qu'un seul, lorsque je ne suis pas sollicité par l'action en cours, je dois rester attentif aux contributions des autres joueurs pour rebondir sur leurs propositions et élaborer ma prochaine contribution sur la base de leurs idées et des contraintes de la fiction. Ceci peut être facilité en recherchant des moyens de passer le relais à un autre joueur lors de sa propre action / description. Tous ces éléments visent à créer un groupe soudé de joueurs qui se respectent mutuellement et ont confiance dans les contributions des autres.


Du côté du MJ


L'objectif du MJ n'est pas de fournir un divertissement à toute une table de joueurs, mais d'amener tout le monde à se rendre compte que leur contribution créative est essentielle pour rendre la partie géniale. Etre créatif, c'est donc ce que l'on demande principalement à tous les participants. Mais quid alors d'une personne qui serait en charge d'arbitrer la partie et qui aurait l'autorité finale sur ce que chacun est autorisé à faire ou à introduire en jeu ? Bizarre, non ? Ceci n'est pas une situation sociale très confortable et n'est certainement pas favorable à ce que chaque participant ait l'impression d'avoir un apport équivalent. La perception d'une inégalité de traitement peut même tout simplement saboter toute participation. Plutôt qu'un rôle d'arbitre, le MJ doit être là pour faciliter le jeu en enseignant les règles et en les rappelant, mais sans avoir d'autorité au-delà de cela. Comme le propose Apocalypse World, il doit être un joueur comme les autres mais avec des règles spécifiques à suivre qui cadrent à la fois son autorité et sa liberté narrative. 

Du côté de la préparation du scénario


Si vous savez qu'une personne à la table de jeu a déjà passé X heures pour préparer la partie avant même que vous ne vous soyez retrouvés assis tous ensemble, par définition cette personne a déjà plus d'investissement dans le jeu à venir que vous. Vous serez alors plus à même de reconnaître en toute impartialité qu'elle devrait avoir plus à dire sur ce qu'il doit advenir que vous. Du fait de son investissement plus conséquent, elle a un sentiment de propriété plus fort sur ce qu'elle a déjà préparé. Pour le dire simplement, c'est "sa" chose pas "notre" chose. Encore une  fois, c'est une inégalité manifeste. Il est possible de remédier à cela en jouant à des jeux où les décisions sont prises tous ensemble par les joueurs (MJ compris) assis à la table. Tout le monde commence ainsi avec une contribution créative équivalente.

Dans Apocalypse World, la première session de jeu, outre la phase de création des personnages, vise à construire l'environnement de jeu et à introduire les problématiques présentes auxquelles vont être confrontées les personnages lors des parties suivantes. Le MC (nom du MJ dans Apocalypse World) devra juste traduire ces problématiques mécaniquement et les rendre vivantes en jeu, en suivant les principes et règles qui lui sont assignés. La préparation se limite à cela, tout ce qui est lié à des décisions à propos de l'histoire, c'est à dire la partie créative du jeu, se décide lors de la partie et ce selon les choix et actions des joueurs pour leurs personnages.


Pour conclure: j'imagine que comme pour toute activité se découvrant et se perpétuant principalement au travers d'un processus d'initiation plus que par un processus d'apprentissage, et ce en lisant des ouvrages expliquant clairement comment jouer comme devrait le faire le jeu de rôle, de vieilles habitudes, que je juge personnellement préjudiciables à ce loisir, continueront à perdurer et à être considérées comme normales et "traditionnelles". Et vous que pensez-vous de ces deux articles de conseils ? Connaissez-vous d'autres vieilles habitudes du jeu de rôle qu'ils seraient bon de se débarrasser et ce sans regrets ? 


2 commentaires:

  1. Peut-être n'est-ce pas nécessairement de mauvaises habitudes, mais la manières dont certains voient (encore?) les choses - pourquoi pas, si c'est ce qu'ils souhaitent? Certes, on se rapproche plus du jeu vidéo type "RPG" où tout ce qui est possible a été prévu à l'avance, et ce qui n'a pas été prévu est impossible, sauf à avoir un MJ avec une grande capacité d'adaptation.

    Le JdR est peut-être encore cela pour certains; mais il a aussi maintenant beaucoup d'autres facettes bien différentes qu'il peut être intéressant d'explorer quand on a "fait le tour" de l'approche "traditionnelle". Tout dépend de ce que l'on veut y trouver, comment on veut le trouver, de ce que l'on veut partager. Les conseils de GROG semblent s'adresser uniquement à un certain type de JdR - il serait dommage de s'y limiter.

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    1. Je trouve que ça ressemble à de la publicité mensongère, vendre le jeu de rôle (sur table) comme étant le medium qui donne la possibilité aux joueurs d'être les véritables acteurs de la fiction, alors qu'en fait ils ne seraient que des figurants dans une fiction déjà prévue par le MJ, ça me gêne quelque part, d'autant que le jeu vidéo gère certainement mieux cette approche. L'intérêt du jeu sur table c'est justement d'avoir un MJ humain capable de s'adapter à la situation, mais cela ne veut pas dire que ce ne soit que de l'improvisation sans aucune préparation en amont.

      De même je pense qu'il n'est pas nécessaire de faire le tour de l'approche traditionnelle avant de tester d'autres approches, qui d'ailleurs me semblent plus fidèles à l'esprit vanté du jeu de rôle. D'ailleurs, des jeux avec des approches innovantes sont souvent plus faciles d'accès pour des nouveaux joueurs que des jeux plus traditionnels. Si je devais commencer le jeu de rôle aujourd'hui, je préférerais commencer avec Lady Blackbird ou On Mighty Thews qu'avec Rolemaster ou GURPS...

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