dimanche 27 juillet 2014

Le principe "System does matter" s'applique aussi aux jeux de plateau

Avant-propos : vendredi soir de la semaine dernière, j'ai eu l'occasion de tester un nouveau jeu de plateau lors d'une soirée ludothèque. Ce jeu s'intitule Rokoko (Maîtres Couturiers dans la version française) et il m'a permis de réaliser que comme dans le jeu de rôle, le principe "system does matter" cher à Ron Edwards et aux créateurs "forgiens" s'applique également très bien aux jeux de plateau.

Le thème du jeu


Nous sommes en plein cœur du mouvement rococo. Louis XV règne sur la France et il est de bon ton d’organiser les bals les plus flamboyants. Tous les nobles en vue se vêtent de manteaux somptueux et de ravissantes robes afin d’éblouir les autres. À quelques semaines de l'événement majeur du moment, tous font appel à vos services : un manteau raffiné pour monsieur, une robe époustouflante pour madame, une contribution aux magnifiques feux d’artifice... Très rapidement, vous réalisez qu’il ne s’agit pas uniquement de confectionner les plus belles tenues, vous devez également vous assurer que ce bal sera le plus mémorable de son époque. Et si vous y parvenez, votre nom marquera l’histoire à jamais. L’heure est venue de prendre en main votre destin ainsi que vos ciseaux et, de fil en aiguille, tailler votre chemin et devenir l’un des Maîtres Couturiers !

Principes de jeu


Dans Maîtres Couturiers, vous possédez une échoppe de tailleur et vous tentez de remporter le plus de points de prestige possible. À chaque tour, vous jouerez une carte et réaliserez l’action correspondante, par exemple : engager un nouveau commis, créer une tenue de bal, ou financer un embellissement. Mais tous les employés ne sont pas capables d'accomplir toutes les tâches. Vous devrez donc choisir et diriger vos subordonnés avec finesse, car chacun offre un avantage unique et particulier. Certains de ces bonus généreront d’ailleurs des points de prestige. Après 7 tours de jeu, le bal se termine et l’heure du décompte final arrive. Vous gagnerez alors des points de prestige de la part de certains de vos commis, pour les tenues que vous aurez louées aux nobles dames et gentilshommes, ainsi que pour les embellissements que vous aurez financés. Tous les joueurs compteront alors leurs points de prestige et celui qui en aura le plus sera déclaré vainqueur de la partie.

Adéquation du thème avec les mécanismes du jeu


Bien que les mécanismes de jeu sont intéressants du fait d'un couplage entre un "deck-building" et les principes d'un jeu de "worker-placement", ils ne font rien pour renforcer particulièrement le thème du jeu. En fait on pourrait plaquer un tout autre thème sur ce jeu sans en changer une seule mécanique :  collecte de ressources, gestion d'un budget, fabrication d'objets pour gagner des points de prestige, achat d'avantages... Il est possible de totalement se déconnecter du thème et ne se focaliser que sur l'aspect mathématique et comptable du gain de points de prestige.

C'est également le cas pour certains jeux de rôles pour lesquels le système de règles et les mécaniques ne renforcent pas du tout le thème mis en avant et le propos censé être défendu et vendu par le jeu.

Dune : un exemple de jeu où les mécanismes collent à son thème


Du coup j'ai ressorti Dune de mon placard, jeu de plateau de 1992, As d'Or 1993 au festival international des jeux de Cannes, qui représente pour moi la meilleure adéquation entre mécanismes de jeu et thème émulé.

La première grande réussite de Dune c'est d'avoir réussi à mettre l'épice au cœur du jeu en y donnant la même importance incontournable que celle qu'elle a dans les romans éponymes.

La deuxième réussite c'est d'avoir réussi à reproduire par des mécanismes de jeu les spécificités de chacune des Grandes Maisons du Landsraad impliquées dans le conflit pour la conquête et la domination de la planète Dune :

  • L'Empereur ne dispose d'aucune troupe sur le plateau au début du jeu, collecte toute l'épice dépensée pour les achats de cartes Traîtrise et possède des troupes d'élite Sardaukar,
  • La Guilde profite de tarifs intéressants pour le débarquement et le transport de troupes, touche les dépenses des autres maisons pour débarquer sur Dune, peut empêcher le débarquement de troupes d'un autre maison et gagne la partie si à la fin des 15 tours aucun autre maison n'a atteint son objectif pour gagner traduisant ainsi le fait qu'elle a réussi à empêcher quiconque de prendre le contrôle de Dune,
  • Les Fremen disposent d'avantages liés au fait qu'ils sont les autochtones de la planète : mouvement facilité et accru, "débarquement" gratuit, connaissance de l'évolution de la tempête, immunité face aux vers des sables, troupes d'élite Feydakin et ils gagnent la partie si à la fin des 15 tours aucun adversaire n'occupe les Sietch Tabr et de la chaîne de Habbanya et que ni les Atréidedes, ni les Harkonnen, ni l'Empereur n'occupent le Sietch de Tuek traduisant ainsi le fait qu'ils ont réussi à éviter les interférences avec leur projet de transformation de Dune,
  • Les Harkonnen disposent d'avantages au niveau des cartes Traîtrise et des traîtres tirés au début du jeu, peuvent prendre prisonnier d'autres personnages s'ils sont vainqueur en combat et contrôlent la cité de Carthag leur donnant l'avantage des ornithoptères augmentant leur capacité de déplacement et de collecte d'épice,
  • Les Atréides disposent d'un don de prescience qui leur permet d'avoir connaissance des cartes Traîtrise avant qu'elles soient mises en vente, des cartes Épice qui seront révélées au tour suivant, d'un des éléments du plan de bataille d'un adversaire et contrôlent la cité d'Arrakeen leur donnant l'avantage des ornithoptères augmentant leur capacité de déplacement et de collecte d'épice,
  • Les Bene Gesserit disposent du pouvoir de la Voix qui leur permet d'imposer ou d'interdire à un adversaire d'utiliser une certaine carte Traîtrise durant un combat, de pouvoir débarquer gratuitement comme ambassadrice avec les troupes des autres maisons et font une prédiction au début du jeu sur un potentiel vainqueur à un tour donné, et si cette prédiction s'avère exacte (avec ou sans l'aide du joueur des Bene Gesserit lors de la partie), elles gagnent à la place du présumé vainqueur.

A tout cela, je pourrais rajouter les règles du Kanly et de la Guerre des Assassins, les cartes Traîtrise qui ont un impact direct sur le plateau de jeu modifiant drastiquement les équilibres établis, le jeu des Alliances qui se forment et se défont au rythme de l'apparition de Shai-Hulud, etc.

Pour conclure : partagez-vous mon analyse sur ces jeux de plateau dont les mécanismes favorisent et émulent parfaitement le thème qu'ils ont retenu ? Connaissez-vous d'autres jeux de plateau dont les mécanismes de jeu et le thème sont totalement décorrélés ? Et au contraire connaissez-vous d'autres jeux de plateau dont les mécanismes sont en parfaite adéquation avec leur thème ?

2 commentaires:

  1. Témoignage : j'ai joué cette partie (ma première aussi) et je les ai explosé. Bon, la chance du débutant sans doute, mais j'ai perçu le jeu exactement comme une partie de l'âge de pierre :
    - quand une grosse carte arrive, il ne faut pas la laisser passer. La rentabiliser au mieux certes, mais aussi éviter que les autres la prenne.
    - j'ai perçu l'or comme la nourriture, un truc qu'il va falloir dépenser à chaque tour et si on n'en a pas, on est bloqué, j'ai donc orienté mes premiers tours à augmenté mon revenu
    - les tissus sont comme les ressources, j'ai donc farmé un gros coup au tour 2 pour avoir un max de ressources pour les tours suivants, m'offrant ainsi le choix, la primeur des grosses cartes à venir et l'initiative quand une carte arrive (pendant que les autres courent après les ressources pour acheter les robes, moi je les achetaient). il suffit donc de gérer un peu le stock qui s'amenuise mais c'est passé pour moi.
    Ah oui, le bal, les robes, tout ça... Ben le plateau est joli, le thème original, mais ça reste un jeu dans la pure tradition allemande de gestion et de course aux points de victoire. Plus je fermais les yeux pour penser à l'âge de pierre, plus je rentabilisais mon tour.
    Des autres exemples de jeu comme ça ? je répète, quasi tous les jeux allemands. Et histoire de balancer ma polémique préférée, DD4 est exactement pareil : gestion de pouvoir, de PV, de récupérations pour "infliger des dommages" (remplacer cette expression par "gagner des points de victoire" et vous verrez).

    Pour un jeu dont les mécanismes collent au thème ? j'ai bien envie de mettre :
    - "le petit prince" avec sa création de planète, ses baobab, sa rose unique. Evidemment, on pourrait fabriquer un bateau en puzzle et lui mettre des canons, des voiles, remplir les cales et mettre des matelots mais il faudrait soit changer certains personnages ou ingrédients, et certaines explications seraient à l'arrache ou à modifier mais ça prouve que la mécanique colle au thème, non ?
    - l'île interdite : il faut chercher des trucs sur un ile avant de fuir car ça prend l'eau de partout. L'adaptation en désert interdit est pas mal mais les ajustements au thème provoquent des bugs (disons que la mécanique colle bien au thème selon ton billet mais du coup, le rendu est très moyen à cause de cela justement). Ca n'empêche pas d'être repris, une ville ou place forte pourrait être assaillie par un envahisseur, il faudrait fuir par un tunnel mais récupérer des reliques, ou des personnes importantes de la ville avant de fuir, un truc du genre (après, bon courage pour les rôles même si l'espion pourrait circuler dans les zones conquises). Bref, un jeu où il faut avoir en tête le thème si vous voulez optimiser votre tour (et survivre).

    Tu as joué aux 2, tu en penses quoi ?

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    1. Ok pour l'île interdite, même si ce jeu pose d'autres problèmes (cf. mon billet sur le méta-problème des jeux coopératifs).
      Pour le Petit-Prince, je ne me souviens pas que dans le bouquin il y ait cet aspect de "je vais te pourrir pour gagner", mais sinon oui ça colle pas mal ! ^^'

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