dimanche 19 octobre 2014

Abrégé hédoniste - Extraits choisis

Avant propos : je vous propose dans ce nouveau billet philosophique quelques extraits choisis d'une de mes dernières lectures : Abrégé hédoniste de Michel Onfray. Ce livre est une bonne introduction à l'hédonisme (doctrine philosophique qui considère le plaisir comme un bien essentiel), et surtout en donne une vision actualisée et moderne, en abordant notamment les questions soulevées par la bioéthique. Si ces quelques extraits suscitent chez vous un intérêt, je vous invite à acheter cet essai aux éditions Librio, surtout vu son prix modique de 3 euros.


La philosophie hédoniste est une proposition psychagogique, psychologique, éthique, érotique, esthétique, bioéthique, politique... Elle propose un discours sur la nature des choses afin que tout un chacun puisse trouver sa place dans une nature, un monde, un cosmos dans la perspective d'une vie réussie - la vie réussie se définissant comme celle qu'on aimerait revivre s'il nous était possible d'en vivre une à nouveau. Sachant cela, voulons ici et maintenant ce que nous voudrions voir se répéter dans l'hypothèse d'un éternel retour.

Ontologie et Métaphysique


Je défends une ontologie et une métaphysique matérialistes: après la physique connue, c'est la physique inconnue - voilà l'objet de la métaphysique immanente. La question célèbre de Leibniz qui fit le bonheur d'Heidegger et de tous les théologiens soucieux de prétextes philosophiques et non théologiques du "pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ?", ne se résout pas avec les armes de la métaphysique idéaliste, mais avec celle d'une métaphysique matérialiste qui est philosophie de l'astrophysique.
Questionner la nature du temps ou celle de l'espace, aborder la question de l'infini, réfléchir sur l'éternité du monde, se décider pour la dialectique héraclitéenne de l'entropie ou celle de l'éternité parménidienne de l'essence pure, suppose un compagnonnage avec les découvertes les plus récentes de l'astrophysique - en attendant ses progrès qui sont rapides et considérables.

Les hommes ignorent leur place dans l'univers. S'ils la connaissaient, ils prendraient mesure de la démesure du cosmos et de l'insignifiance de leur existence. Nous faisons un événement considérable de notre vie qui importe aussi peu que l'être d'une feuille dans un arbre...
Or se savoir mortel, dérisoire, périssable, fragile, temporaire dans le bruissement des milliards de planètes dans un cosmos qui ne connaît que la loi de la gravité, remet l'être au centre de lui-même: un axe dont la matière est le néant. La religion vend des fables et des mythes, elle raconte des histoires pour convaincre la multitude que vivre c'est autre chose que mourir - or cette folie est une contre-vérité radicale...

L'ignorance de la place de l'homme dans le cosmos se double de l'ignorance de celle qu'il occupe dans la nature.
L'ontologie matérialiste, la métaphysique d'un cosmos immanent, autrement dit la philosophie, mènent à une sagesse digne de ce nom. Il suffit d'en appeler à la compréhension de la nature et de la saisie de notre inscription dans ce premier maillon de la chaîne cosmologique. L'oubli de la nature, ou sa confiscation par les défenseurs contemporains d'une idée de la nature pensée comme objet conceptuel transcendantal, et non comme vérité matérielle vécue, accompagne et définit en même temps le nihilisme contemporain.

La nature n'est pas ce que quelques rousseauistes citadins, tout à leur désir de rédemption du reniement de leur naturalité, affirment aujourd'hui en nourrissant une religion d'après la religion: l'écologisme.
L'écriture catastrophiste imbibée de la fameuse herméneutique de la peur du philosophe Hans Jonas, active les causalités magiques et rend l'homme responsable de toutes les négativités écologiques, sous prétexte du péché originel que serait l'industrialisation.
Le cas du réchauffement de la planète néglige la plupart du temps les considérations astrophysiques, par exemple les incidences de l'aléatoire dans l'année galactique qui définit le temps mis par le Soleil à accomplir son trajet orbital autour du centre de la Voie lactée. Le système solaire effectue en effet son tour autour du centre de la galaxie en 226 millions d'années en regard desquelles alternent les périodes de réchauffement et celles de glaciation sans aucune relation avec ce que font ou sont les hommes, et pour cause, le cosmos n'ayant nullement besoin d'eux...

Le sentiment de la nature, mais également la pleine et entière ouverture au cosmos, activent une sensation que, depuis Longin, on nomme le sublime. L'expérimenter atteste de la vérité de l'ontologie pratique. Le spectacle de la vastitude de la mer, des montagnes, de l'océan, de l'orage, de la foudre, de l'éclair, du torrent, des glaciers, du naufrage, déclenche le sentiment de soi comme conscience finie, étroite, limitée, dérisoire. Ce "sentiment océanique", pour utiliser l'expression de Romain Rolland, n'est pas le nucléus d'une religion, mais l'expérience du lien qui nous unit avec le cosmos et la nature dont nous sommes un fragment.

Psychagogie


La sagesse des grandes écoles socratique, stoïcienne, épicurienne, cynique, cyrénaïque supposait une psychagogie, autrement dit une invitation, par des exercices spirituels, à modifier son âme (matérielle) afin d'en purifier les affects pour aller du monde de l'angoisse, de la peur, de la crainte, des passions humaines à celui de la sagesse dans lequel triomphent la sérénité, la joie, la béatitude, l'ataraxie, les vertus philosophiques.

Psychologie


La parole peut, en effet, soigner et guérir en contribuant à de nouveaux agencements, hédonistes en l'occurrence, des circuits psychiques endommagés par la souffrance. La parole doit contribuer à la construction d'un récit qui donne du sens au chaos existentiel de la personne qui requiert les services du psychologue. En cas de traumatismes qui ne relèvent pas de la psychiatrie, la psychologie est un art de la construction de soi ou de la reconstruction de soi. Elle produit de l'ordre existentiel dans le désordre ontologique.

En ce sens, elle entretient une relation intime avec la philosophie entendue comme art de vivre, construction de soi, sculpture de sa propre statue.

Ethique


Une éthique hédoniste suppose un combat athéologique. L'athéologie décompose les fictions construites pour éviter la vérité ontologique ultime : notre présence au monde n'a de sens que dans, par et pour notre effacement du monde.
Je défends un athéisme qui affirme la nécessité d'une éthique post-chrétienne. Il nous faut une règle du jeu immanente qui récuse l'accrochage de la morale à la théologie, comme pendant si longtemps, ou à la science comme d'aucuns le croient

Nous sommes un matériau brut qui doit être informé. Ce que nous sommes, nous le devenons. Si nous ne devenons rien, nous ne serons rien, sinon un fragment aveugle de la nécessité du cosmos. D'où la nécessité d'informer l'âme matérielle constituée par notre cerveau et notre système nerveux. Il faut un dressage neuronal car, ne pouvant éviter que celui-ci ait lieu par défaut et débouche sur la sauvagerie psychique de l'être, on doit le vouloir pour dompter les forces, façonner les formes, vouloir les contours de notre existence. L'éthique est une affaire de sculpture de soi.

D'où une construction à partir de soi, car la vérité ontologique du monde est, sur le terrain métaphysique, le solipsisme. Chacun définit le centre du monde et construit le réel à partir de lui. Y compris, et surtout, le réel éthique, l'intersubjectivité. Sur le mode des cercles concentriques, dans une logique aristocratique donc, l'élection et l'éviction décident d'une situation dans le dispositif: élu celui ou celle qui consent à une relation hédoniste dans laquelle se construit, à deux, une intersubjectivité dans laquelle triomphe la pulsion de vie ; évincé celui ou celle qui, dans cette relation, fait primer la pulsion de mort, la négativité, la destruction, la perversion, le déplaisir.

La situation que chacun occupe dans les cercles éthiques d'autrui n'est jamais définitivement acquise, elle est au contraire relative à ce qui aura été donné, ou pas, négativement ou positivement. Qui donne de la jubilation en reçoit en retour; qui inflige des passions tristes écope d'une mise à distance - non pas la haine, le mépris, la rancœur ou la rancune, l'antipathie, qui abîment l'âme par la corruption des toxines du ressentiment, mais la sortie de ses cercles éthiques, l'effacement de son monde.

L'impératif catégorique de l'éthique hédoniste a été justement formulé par Chamfort dans un aphorisme définitif: "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà toute morale."

Esthétique


La mort de Dieu proclamée par Nietzsche dans le Gai Savoir s'accompagne de la mort du Beau annoncée par Duchamp (stirnérien et nietzschéen avoué) avec son premier ready-made. La thèse de Duchamp ? C'est le regardeur qui fait le tableau.

Depuis toujours, le décodage d'une œuvre nécessite des informations. La connaissance des symboles de l'art occidental aide à voir un message nettement plus subtil. L'art contemporain exacerbe cette radicalité intellectuelle dans/de l'art. De sorte que le regard naïf d'un sujet inculte transforme l'œuvre en pitoyable production dépourvue de signification. Si la moitié du chemin est faite par l'artiste, l'autre doit être effectuée par le regardeur. Mais dans un monde où l'initiation n'existe plus, comment le public pourrait-il porter des jugements de goût dignes de ce nom ?

Pour autant, le divorce entre grand public et art contemporain n'est pas dû au seul public car nombre d'"artistes", sous prétexte de conceptualité, oublient qu'un demi-chemin leur est imputable et produisent des œuvres dépourvues de sens, d'intérêt, d'intelligence, de signification. Miroir du nihilisme oblige, leurs productions trahissent moins une radicalité signifiante qu'une asthénie dominante. Dupliquer Duchamp, c'est encore dupliquer, autrement dit, faire un travail d'artisan, si l'on veut, mais sûrement pas d'artiste. Je propose donc qu'on se souvienne que, pour être fidèle à Duchamp, il ne faut pas le dupliquer mais le dépasser.

Duchamp a révolutionné les choses sur deux plans: le regardeur investi d'une responsabilité dans le processus de création esthétique mais également la révolution des supports.

L'art est propédeutique à l'éthique parce qu'il met l'âme devant sa vacuité, une condition existentielle préalable à la sculpture de soi. La révolution des supports initiée par Duchamp permet de faire du Soi un matériau susceptible d'être informé sur le principe esthétique. La vieille invite à faire de sa vie une œuvre d'art devient claire et limpide.

Érotique


La théorie occidentale du désir s'est construite comme manque consécutif à la séparation d'avec l'androgyne primitif qui connaissait la satiété de la complétude mais jubilait d'une puissance qui déplût aux dieux. Dès lors, ils sectionnèrent cette forme parfaite pour en faire deux  parties qui errent depuis dans la quête de leur moitié perdue et de leur partie manquante. Le désir est souffrance qui coïncide avec cette quête d'une improbable complétude par l'autre, conçue comme vérité de notre béatitude.
D'où les fantasmes du prince charmant, de l'épouse idéale, de la moitié à trouver, de la perle rare, autant de variations sur le thème de l'impossible.
Notre malheur vient de ce que, sacrifiant à cette mythologie du désir comme manque doublée du souci de restaurer l'unité primitive d'un animal fabuleux perdu, nous soyons en quête d'une chimère. En matière d'érotisme, le premier pas effectué sur le terrain post-chrétien consiste à jeter aux orties ce schéma dévastateur et créateur de névroses, de pathologies mentales individuelles et collectives.

Un autre pas sera fait quand nous cesserons de condamner la libido et que nous proposerons une libido libertaire avec un éros léger qui indexe la sexualité non pas sur l'amour, la fidélité, la monogamie, la procréation, la cohabitation, mais sur le projet moins ambitieux d'une intersubjectivité libre, joyeuse, pacifiée, voluptueuse dans laquelle l'objectif est moins l'idéal familialiste paulinien que la proposition ouverte d'une construction de son érotisme dans la liberté du consentement d'autrui.
Un érotisme solaire déclare ouverte toute possibilité sexuelle, pourvu qu'elle procède d'un pacte en amont et que les consentements aient été dûment obtenus, l'ensemble commençant par le détail de la règle du jeu.

L'érotique solaire se propose également de contribuer à la réalisation d'un féminisme libertin dans lequel ce que l'homme se permet, il le permette aussi à la femme.
L'habitude de penser le sexe en genre et le réduire à deux relève de la facilité conceptuelle. Chacun est constitué d'une part masculine et d'une autre féminine, et en parts inégalement réparties. De sorte qu'il nous faut moins penser avec la série homme/femme, masculin/féminin, qu'en termes de nominalisme, une option philosophique en vertu de laquelle il n'existe que des cas particuliers.
Chacun est une exception sexuelle parce que le formatage neuronal de sa psyché relève d'une histoire singulière, subjective, sans double.
D'où la nécessité de partir à la quête de soi afin de déterminer ce que l'on est sur le terrain sexuel et ce à quoi on aspire. La connaissance du soi sexuel est le préalable à toute intersubjectivité réussie. Pas d'érotisme solaire sans savoir de son identité sexuelle et de ses aspirations voluptueuses.

L'absence d'éros chrétien précipite chacun dans l'obscurité de son être. Les érotiques chinoise, indienne, japonaise nous persuadent de la nécessité d'un apprentissage de la sexualité.
L'érotisme est à la sexualité ce que la gastronomie est à la nourriture: un supplément d'âme.

Bioéthique


La bioéthique est un souci récent dans un monde où, depuis peu, on se retrouve devant des questions inédites qui renvoient à la possibilité d'un corps faustien, post-chrétien, élargi par la technique et les potentialités biologiques annoncées.

Envisageons la bioéthique comme un combat hédoniste pour lequel le plaisir s'entend comme l'évitement du déplaisir, la conjuration de la douleur, de la souffrance et de la peine subie par le corps.

Le techniquement faisable n'est pas toujours moralement défendable, et de loin, mais la science n'est pas mauvaise en soi: elle l'est en fonction des causes servies.

Une bioéthique nominaliste défend l'artifice pour pallier la nature: là où cette dernière manque sur le terrain hédoniste (un amoindrissement du corps, une douleur, une souffrance, un affaissement des potentialités de la chair, la perspective d'une affection handicapante, une maladie, etc.), elle est compensée par l'artifice qui vient en aide, qui propose un recours. Toute prothèse est bienvenue qui augmente le corps, le soutient et le supporte, l'élargit, le décuple et multiplie ses possibilités.
Cette éthique théorique suppose donc une morale pratique dont les vertus sont simples: vertueux ce qui augmente un plaisir et diminue une souffrance; vicieux ce qui augmente les souffrances, les entretient ou ne lutte pas contre.
La réappropriation de soi est l'épicentre de ce projet: notre corps nous appartient, il n'est en rien propriété divine ou machine transcendante.
Le cerveau constitue l'identité de l'être. Nous sommes notre cerveau. Quand le développement neuronal est à ce point insuffisant qu'il ne permet pas une interaction de l'être en soi et soi, soi et les autres, soi et le monde, qu'il n'y a pas de possibilité de réaction aux stimuli de plaisir et de déplaisir venus de son extérieur, alors il y a du vivant, certes, mais l'humain n'est pas là. Dans le cas du foetus avant la vingt-cinquième semaine, dans celui de l'accidenté au cerveau irrémédiablement endommagé, il paraît légitime d'envisager aussi bien l'avortement que l'euthanasie.
Cette dernière permet une ultime réappropriation de soi jusque dans la mort qui marque le moment ultime de la désappropriation de soi.

Pour le reste, tout ce qui augment la jubilation à être me paraît légitime: les greffes d'organes, de tous les organes, y compris le visage, le cerveau exclus ; les consommations de substances euphorisantes ; les chirurgies esthétiques ; les diagnostics prénataux utiles à l'évitement de pathologies donc de souffrances annoncées ; le clonage thérapeutique ; le clonage des cellules souches ; la thérapie génique ; la médecine prédictive...

Politique


La politique que je propose suppose ce que je nomme le principe de Gulliver: chacun connaît l'histoire de Swift qui montre comment un géant peut être entravé par des Lilliputiens si et seulement si le lien d'une seule de ces petites créatures se trouve associé à une multiplicité d'autres attaches. Le comportement de Gulliver illustre à ravir la leçon de La Boétie: "Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres." La domination n'existe que par le consentement de ceux qui l'acceptent. Si l'on refuse l'assujettissement, et que l'on est assez nombreux pour cela (leçon de l'association d'égoïstes de Stirner...), alors le pouvoir s'effondre de lui-même, car il ne tient sa force que de notre faiblesse, il n'a de puissance que de notre soumission.

Concrètement, il s'agit, d'une part, de ne pas créer les microfascismes du genre assujettissements, dominations, dépendances, servitudes, pouvoirs, d'autre part de ne pas y consentir. Car la logique domination/servitude n'existe que par la volonté de ceux qui dominent et par l'absence de refus de ceux qui subissent cet empire. Chaque microfascisme se désintègre par une microrésistance.

En politique, l'hédonisme se résume à la vieille proposition utilitariste des Lumières: il faut vouloir le plus grand bonheur du plus grand nombre. Non pas demain, trop facile, trop simple, trop confortable, mais ici et maintenant, tout de suite.

Pour conclure : si la philosophie d’Épicure vous intéresse, et que vous voulez retourner aux origines de ces principes, je vous conseille la lecture de ces Lettres, Maximes et Sentences. Et vous, avez-vous une philosophie qui guide votre vie ?

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