Avant-propos: si l'on devait concevoir le jeu de rôle le plus minimaliste possible, quels seraient les éléments indispensables à sa réalisation ? A quoi se réduit l'essentiel des fonctions nécessaires à la constitution d'un jeu de rôle ? Nous aborderons dans ce billet ces questions au niveau théorique en s'appuyant sur le point de vue de Vincent Baker ainsi qu'au niveau pratique en scrutant de près le nano-jeu d'initiation d'Epidiah Ravachol.
Qu'est-ce qu'un jeu de rôle selon Vincent Baker
1) Un jeu de rôle est un jeu
Un jeu a un objectif et des outils. Aux échecs votre objectif est de défaire le roi adverse. Vos outils sont le mouvement en diagonal des fous, en vertical et horizontal des tours, des autres pièces selon leur mode spécifique, d'effectuer la capture des pièces adverses, de roquer, etc. A Super Mario Bros l'objectif est d'atteindre la fin du dernier niveau. Vos outils sont de courir, sauter, lancer des boules de feu, casser des briques, etc. Dans ces deux cas, les outils à votre disposition rendent possible l'atteinte de votre objectif, mais sans que cela ne soit facile ou certain. C'est là une idée clé, la distance ou tension créée entre l'objectif du jeu et les outils qu'il procure pour l'atteindre.
Dans un jeu de rôle :
- Votre personnage peut avoir un ou des but(s)
- En tant que joueur, vous pouvez avoir vos propres buts
- Le jeu a un objectif, décidé par le concepteur
- Le concepteur avait des buts pour le design de son jeu, sa publication, etc.
2) Un jeu de rôle est une conversation
Un jeu de rôle, c'est une conversation. Une conversation a un ordre et un sujet. Les règles d'un jeu de rôle ne font pas autre chose qu'orienter cette conversation : ce qu'on doit dire, ce qu'on ne peut pas dire, quand et comment on doit le dire. C'est aussi ce qu'on appelle "le principe de Lumpley" : le système (qui inclut mais ne se limite pas aux règles) c'est l'ensemble des moyens par lesquels le groupe s'accorde sur les événements imaginaires pendant la partie.
L'idée clé ici est que l'ordre de la conversation que vous tenez dépend du sujet de la conversation. Au cours du jeu quelle variété de sujets est couverte par la conversation ? Comment l'ordre de la conversation évolue ou non pour s'adapter au changement de sujet ?
1+2) Dans un jeu de rôle, 1 et 2 entrent en contact.
Lancer les dés, intervenir à son tour, choisir parmi plusieurs options, dire ce que votre personnage fait: ce sont les outils dans un jeu de rôle. Comment faire pour orienter la conversation dans votre jeu ? La réponse est que cela dépend de l'objectif du jeu, et de la tension que vous voulez créer entre cet objectif et les outils du jeu.
Qu'est-ce qu'un jeu de rôle ? selon Epidiah Ravachol
Le texte de ce jeu est suffisamment court pour être reproduit en totalité ici, cela permettra plus facilement d'en discuter, le voici.
C’est un jeu de société à jouer entre amis.
Trouvez 2 ou
3 amis, mettez-vous à l’aise. Ça vous prendra 15-20 min.
C’est l’exploration de scénarios prenants ou rocambolesques.
Dites à vos amis que vous allez jouer des braqueurs
de banque modernes à la couverture parfaite : ils
sont aussi astronautes et leur fusée part le jour même.
C’est la possibilité d’être un autre.
A votre tour posez
aux autres trois questions à propos de leur astrobraqueur
respectif. Choisissez l’un d’eux qui sera le cerveau du braquage,
un autre qui sera le commandant de la mission spatiale,
un troisième qui a décidé en secret de se rendre.
C’est une célébration des situations épineuses.
Commencez
dans le feu de l’action. Posez la scène comme dans
un film. Nos astrobraqueurs sont à la banque le jour du lancement, cagoulés, armes aux poings. Dites qui d’autre
se trouve là, ce qu’ils font, ce qui a mal tourné.
C’est un rêve éveillé collaboratif.
La scène posée, choisissez
un joueur pour être au centre de l’attention. Les
autres joueurs peuvent dire ce que pensent ou font les
personnages tiers : banquiers, flics, gardes, otages. . . à l’exception
de l’astrobraqueur d’un autre joueur. Le joueur au
centre de l’attention peut uniquement dire ce
que pense ou fait son propre astrobraqueur.
C’est un exercice pour votre sens de la narration.
Discutez
de ce qui arrive et de ce que chacun fait. Quand quelqu’un
fait quelque chose de difficile à faire ou qui pourrait
faire du mal à quelqu’un, y compris à lui-même, faites-lui
remarquer à voix haute. Vous pouvez provoquer ces moments
en faisant agir votre astrobraqueur de façon imprudente
ou un tiers de façon brave, agressive ou désespérée.
C’est une façon de vous forcer à imaginer des histoires
intéressantes.
Si vous faites remarquer que quelqu’un
fait quelque chose de difficile, désignez un 3ème joueur qui
décidera ce qui doit se produire avant que cette tâche soit
achevée. Si vous faites remarquer que quelqu’un pourrait
faire du mal, désignez un 3ème joueur qui décidera qui aura
mal et comment. Si vous faites remarquer que quelqu’un
fait quelque chose à la fois difficile & faisant du mal, désignez
un 3ème joueur qui décidera de quelle façon l’action
échoue et met en danger toute l’équipe. Si c’est le personnage au centre
de l’attention à qui on a fait la remarque, terminez la scène
et passez au paragraphe suivant ; sinon continuez à jouer.
C’est quelque chose qui continue.
Quand une scène se
termine, un autre joueur en pose une nouvelle et un autre
astrobraqueur devient le centre d’attention. Dites qui est
là et qu’est-ce qui va de travers. Est-ce une poursuite en
voiture, un problème avec les otages, une visite surprise
quand vous enfilez vos scaphandres, une fusillade sur le
pas de tir ? N’importe quoi qui suit naturellement. La partie
se termine quand tous les astrobraqueurs ont été soit
tués, soit arrêtés, soit se sont échappés en orbite.
Petite étude comparative
Ce court jeu d'initiation d'Epidiah Ravachol est de manière surprenante un excellent exemple de mise en pratique des principes de V. Baker.
L'objectif du jeu est clairement fixé (la partie se termine quand tous les astrobraqueurs ont été soit tués, soit arrêtés, soit se sont échappés en orbite), 3 rôles de personnage sont déterminés avec chacun un objectif propre (l’un d’eux sera le cerveau du braquage, un autre sera le commandant de la mission spatiale, un troisième a décidé en secret de se rendre), le contexte est posé avec un début du jeu in media res.
Pour ce qui est des règles et des outils permettant de cadrer la conversation, un des joueurs incarne son personnage et le fait évoluer tandis que les deux autres joueurs se substituent au rôle du MJ en incarnant l'environnement, les PNJs, l'opposition etc. La résolution des situations conflictuelles (quelque chose de difficile à faire ou qui pourrait faire du mal à quelqu’un) se fait par l'intervention d'un tiers qui décide ce qui doit se produire avant que cette tâche soit achevée. Ce système de résolution basique permet d'aller au-delà du simple "ce que vous dites a lieu de la manière dont vous l'avez décrit".
En fait la proximité de vision de ces deux auteurs par rapport à ce que doit contenir a minima un jeu de rôle n'est pas si surprenante que cela. En effet lorsque l'on consulte la liste conseillée par V. Baker pour créer soi-même un (nano-)jeu, on trouve qu'Epidiah Ravachol a répondu à presque toutes ces questions dans son propre jeu, à savoir:
- qui sont les personnages, que sont-ils en train de faire et quel obstacle se dresse devant eux ?
- quel est le rôle des joueurs ?
- quel est l'objectif des PJs ?
- est-ce qu'il y a un MJ ?
- qui est le MJ ?
- quel est le rôle du MJ ?
- quel est l'objectif de jeu du MJ ? que cherche-t-il à découvrir en jouant ?
- dans quelles circonstances doit-on jeter les dés ?
- selon le résultat des dés, que peut-il se dérouler ensuite ?
- selon ce qui se déroule ensuite, quelle conversation devrait-on avoir sur ces événements ?
- quelles circonstances demandent une conversation particulière, mais pas de jet de dés ? et quelle conversation devrait-on avoir à ce moment-là ?
- comment sait-on que la partie est terminée ?
Cette liste semble constituer une excellente base de questions à se poser lorsque l'on se lance dans la création de son propre jeu de rôle.
Pour conclure: bien sûr on peut trouver que le "système de résolution" des conflits dans le jeu d'Epidiah Ravachol est trop léger, mais il faut bien penser qu'en introduisant d'autres mécaniques dans un jeu de rôle celles-ci doivent avoir une utilité avérée au-delà de ce que permet déjà un simple système de résolution, et surtout que ces mécaniques restent bien focalisées sur ce qui importe réellement par rapport au contexte du jeu et à l'expérience de jeu recherchée. Selon vous, peut-on encore réduire le nombre d'éléments nécessaires à la conception d'un jeu de rôle par rapport à ce qui est présenté ici ? Ou bien au contraire pensez-vous peut-être que le nano-jeu d'Epidiah Ravachol ne peut pas être considéré comme un véritable jeu de rôle ? Que faudrait-il alors ajouter pour qu'il en devienne un ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire