lundi 25 novembre 2013

Le jeu de rôle doit-il avoir un système de récompenses ?

Avant-propos : le jeu de rôle est-il un jeu comme les autres ? De fait, un système intrinsèque de récompenses est-il nécessaire ou bien le seul fait d'y jouer est-il une récompense en soi ? Faut-il récompenser le roleplay alors que c'est un des éléments clés du jeu de rôle ? Je vais aborder dans cet article les éléments qui me font penser qu'un système de récompenses explicite et favorisant le style de jeu recherché est un plus en matières de jeu de rôle.






Du jouet au jeu


Un jouet est un objet qui peut être manipulé de plein de manières différentes, mais qui ne propose pas au joueur un but. Une fois que le joueur décide pour lui même ce qu'il va faire avec ce jouet, alors il devient soudainement un jeu. Par exemple, une balle est juste un jouet. Vous pouvez la faire rebondir, la lancer et l'attraper. Si vous en avez plusieurs, vous pouvez jongler avec. Cependant, une fois que vous avez décidé que vous voulez la lancer à travers un cerceau pour marquer des points, que des amis vont faire de même, et que l'équipe ayant marqué le plus de points sera déclarée vainqueur, vous avez maintenant un jeu. Les mécaniques d'un jeu de rôle sont similaires au fait de faire rebondir, lancer, attraper ou jongler. Individuellement chacune de ces actions ne fournit pas de but, mais elles décrivent ce que vous pouvez faire avec la balle. Taper dans un ballon ou mettre un ballon dans des buts n'est pas amusant en soi. Mais l'amusement qu'on obtient en jouant au football est basé sur une manière "organisée" de taper dans le ballon et ce qui fait cette "organisation" ce sont les objectifs (j'aurais pu mettre buts mais cela aurait prêté à confusion!) et le jeu s'organise parce que vous avez ce simple système de récompenses en place. Il y a une valeur attachée à une certaine action, et toutes les tactiques et stratégies de jeu tournent autour d'un système de récompenses*. Maintenant quand vous jouez à un jeu de rôle, l'amusement n'est pas le système de récompenses en soi, l'amusement est ce que vous obtenez du jeu qui s'organise en regard de ce système de récompenses.

* Ron Edwards avance l'idée de la récompense comme outil d'organisation : bien que je puisse vouloir que mon personnage monte de niveau, ce qui rend le jeu amusant c'est que les cycles de récompense contribuent à la pertinence de cette montée de niveau, et que le jeu valide socialement mes efforts - ainsi le jeu peut être amusant même quand mon personnage est totalement dépassé et écrasé par les évènements.

A D&D version "old-school", l'or en lui même n'est pas fun, trouver comment obtenir de l'or, savoir quel monstre éviter, quel monstre combattre, celui auquel s'allier, lequel tromper, quel trésor prendre, lequel laisser derrière soi, quand faire demi-tour, quand progresser plus avant - c'est là que se trouve l'amusement qui résulte au fait que "or = xp".

Dans Mouse Guard, les points d'Artha ne sont pas funs en soi, mais les drames autour du fait de poursuivre ses Convictions, trouver comment votre personnage va pouvoir vivre avec, se battre contre eux, s'apercevoir qu'ils sont faux, s'arranger avec d'autres personnages et alliés qui ont des Convictions en opposition avec les vôtres, décider où et quand fixer des limites, décider d'abandonner une Conviction pour une autre, c'est là que se trouve l'amusement. 


Le but du jeu



Il est à noter qu'à partir du moment où un système de récompenses organise le jeu, il devient "non-optionnel" de ne pas s'en occuper en jeu. A D&D, il s'agit de l'efficacité de votre personnage lors de l'exploration du donjon, à Mouse Guard il s'agit d'avoir des Convictions "dramatiques". Bien sûr vous allez probablement faire du roleplay à D&D, car tous les jeux de rôles dépendent du fait de jouer avec la fiction, mais cela sera d'importance secondaire par rapport à l'efficacité du personnage. A Mouse Guard vous pourriez aussi avoir des problématiques autour de l'or ou du combat, mais seulement si celles-ci correspondent à des situations liées à des Convictions. Si le jeu n'est pas organisée autour de cela, d'une manière ou d'une autre, alors cette question est optionnelle. Combien de personnages de D&D ont les noms de leurs parents définis ? Voyez à quel point cela va tout modeler jusqu'à la création des personnages.

C'est pourquoi c'est souvent une manière facile et directe lors du design d'un jeu que de récompenser ce que vous voulez que les joueurs accomplissent. Bien sûr, ceci n'est pas absolument nécessaire pour que les joueurs le fassent malgré tout. En fait, il est tout à fait possible de créer des objectifs de jeu qui ne sont pas quantifiés systématiquement. Mais pour que cela fonctionne, le système de récompenses doit informer et affecter les choix des joueurs en regard des objectifs actuels. Par exemple à Dogs in the Vineyard, l'objectif est de réussir à aider les gens tout en restant une personne décente. Le système de récompenses favorise deux choses: s'insinuer dans le drame d'autres personnes (en risquant d'être blessé, insulté, etc.) et sortir ses flingues quand vous voulez vraiment que quelque chose se réalise. Vous remarquez que ces deux aspects ont un impact sur ce que représente l'idée d'aider des gens et d'être une personne décente. Plutôt que de récompenser le fait d'aider des gens ou d'être une personne décente, cela met ces notions au défi et crée des objectifs divergents.


“Je n'ai pas besoin de récompenses pour jouer”



Si on regarde les systèmes de récompenses comme des facteurs d'organisation pour jouer, peut être qu'il serait plus facile de trouver des personnes qui jouent d'une manière qui correspond à celle que vous recherchez, surtout si les règles du jeu vous orientent explicitement vers ce style de jeu en particulier. Si vous pouvez obtenir d'excellentes sessions de jeu sans système de récompenses, cool!, mais considérez aussi le fait que vous pouvez avoir affaire à plusieurs joueurs qui n'arrivent pas à "capter" un jeu. Peut être que ce serait tout de même plus simple s'il y avait plus de clarté dès le début sur un jeu auquel on veut jouer et comment on est supposé y jouer.

Pour conclure : Avez-vous besoin d'un système de récompenses en jouant au jeu de rôle ? Pensez-vous que si ce système de récompenses était plus explicite il serait plus simple d'aborder un jeu, de saisir quel est son objectif et de savoir plus vite s'il vous plaira en définitive ?

lundi 11 novembre 2013

Des projets plein les cartons...et seulement 24 heures par jour !

Avant-propos : petit article bilan maintenant que le concours Vieux Pots Nouvelles Soupes 2013 est terminé. Il s'agit de faire le point sur mes deux participations à ce concours, et de mettre par écrit la liste des autres idées d'adaptation qui me trottent dans la tête, même si le non renouvellement du concours Vieux Pots Nouvelles Soupes l'année prochaine fera certainement que faute de contrainte temporelle, ces adaptations ne verront peut être jamais le jour, ou bien dans un temps non déterminé...






Ar-Agôn : La Communauté


Ma proposition au concours Vieux Pots Nouvelles Soupes 2013 n'a pas réussi à se hisser à la première place même si semble-t-il la délibération a été très serrée. A l'heure actuelle, mon adaptation a été téléchargé 46 fois sur le site de narrativiste, auxquels il faut ajouter les 75 téléchargements initiés depuis ce blog. Une partie de ces 75 téléchargements ont fait suite à l'ouverture d'un fil de discussion sur Story Games. Suite à l'enthousiasme ou la curiosité de certains intervenants là-bas, dont notamment et non des moindres John Harper himself, j'ai décidé de me lancer dans la traduction en anglais de cette adaptation avec l'aide d'un ami tolkienophile. C'est la première fois que je me livre à ce genre d'exercice, et j'espère pouvoir boucler cela dans un délai raisonnable.

De Chair & d'Acier


Ma première participation au concours Vieux Pots Nouvelles Soupes en 2012 avait vu ma proposition terminer troisième. Il s'agissait de l'adaptation de la spécificité des Armes-Dieux de Bloodlust à Sorcerer. Aujourd'hui, un an après, près de 270 téléchargements de cette adaptation ont été réalisés...mais aucun retour ou presque...

Ces propositions ne sont que les deux d'une longue liste d'idées d'adaptation dont certainement peu verront vraisemblablement le jour en définitive.

Dans les cartons


Voici les projets qui me trottent souvent en tête, certains étant débutés et d'autres encore au stade de la réflexion :

  • un hack d'Apocalypse World dans l'univers de Dune,
  • un hack de FATE dans l'univers de Conan,
  • un hack de Bliss Stage et de 3:16 Carnage dans les Etoiles pour l'univers de Macross / Robotech,
  • un nouveau hack de DitV pour Sons of Anarchy,
  • un hack de Lady Blackbird pour Capitaine Flam,
  • l'adaptation d'une campagne de Baldur's Gate à Dungeon World,
  • ...

Au-delà de "simples" adaptations, j'ai eu un temps le projet de faire un jeu dans l'univers de la BD "De Cape et de Crocs" basé sur un système de rimes entre autre. Récemment il y a eu cette idée de jeu en solitaire autour des grands principes de la philosophie antique grecque, et un autre projet que je garde pour l'instant pour moi, même si je sais qu'il nécessitera un immense boulot...

...et si seulement cela s'arrêtait au jeu de rôle !

Des jeux pour comprendre


Après avoir découvert le travail de Brenda Brathwaite (si vous ne la connaissez pas encore, regardez cette vidéo : Gaming for understanding), je n'ai pu m'empêcher de penser que bon nombre de sujets historiques français ou européens pourraient bénéficier de ce genre de traitement, ne serait-ce que le sujet de la guerre 14-18 dont nous "fêterons" les 100 ans l'année prochaine.

Le plus difficile pour ce genre de jeux étant de définir quel message on veut faire passer aux participants et à créer des mécaniques de jeu qui supportent cette expérience recherchée (des jeux de plateau avec une démarche narrativiste en quelque sorte où l'on recherche à créer une "résonance émotionnelle" avec le sujet en cours de jeu). Que se passerait-il si en jouant à Puerto Rico, vous réalisiez soudainement, que les pions noirs que vous déplacez dans vos champs pour récolter des ressources, sont en fait des esclaves noirs amenés de force d'Afrique, exploités et fouettés ? Voudriez-vous toujours gagner, et à quel prix ?

Pour conclure : bien sûr je ne dois pas être le seul à avoir des idées qui fourmillent par dizaines, mais vous comment faites-vous pour faire le tri et vous focaliser sur une seule idée à la fois ? Faut-il savoir abandonner une partie de ces idées, et ce même à un stade avancé, pour en voir surgir et aboutir d'autres peut être meilleures ? Vous en pensez quoi ?

dimanche 3 novembre 2013

Les Principes et Exercices Spirituels de la Philosophie Cynique

Avant-propos :  le cynisme est un courant philosophique créé par Antisthène, mais dont le plus célèbre représentant est Diogène de Sinope. Ce dernier a accumulé un grand nombre d'anecdotes et de bons mots, grâce à son art de l'invective et de la parole mordante. Mais le héros et modèle des philosophes cyniques est Héraclès, car c'est un héros qui ne se laisse influencer par personne, est libre et n'a pas d'attachement particulier. Les cyniques proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire. Je vais vous présenter succinctement les principes et la mise en pratique de cette philosophie, et si vous voulez en savoir plus je vous conseille la lecture de l'excellent ouvrage de Michel Onfray à ce sujet.




Quels sont les principes cyniques ?


L'ensemble de la philosophie cynique repose sur la volonté de renverser l'ordre établi, les conventions sociales à l'endroit d'une civilisation où la réussite sociale, la gloire et la richesse sont des valeurs dominantes.

Selon les cyniques, la vertu est la même pour tous les individus et elle peut s'apprendre. Il s'agit pour cela de désapprendre ce qui est mal en écartant notamment toutes les traditions, les conventions sociales. La vertu ainsi que l'effort sont pour les cyniques ce qui constitue la richesse, celle-ci s'oppose à tous les biens matériels qui font courir les Hommes. Et pour cela il n'est pas besoin de grandes qualités intellectuelles, mais seulement de volonté. C'est elle qui permet d'acquérir les qualités du cynique : l'endurance, la maîtrise de soi, l'impassibilité. Cette volonté, outre la vertu, permet de savoir comment se comporter, et se maîtriser face à la souffrance quotidienne, tous les obstacles à venir de la vie, que ce soit la mort, la faim, la soif...

Mieux vivre, mieux-être, vivre du mieux possible sont aussi les bases de la philosophie cynique. Les aléas de la fortune, les angoisses de la possession, la quête du pouvoir sont tout autant d'éléments qui peuvent nuire à une vie bonne et sans souci. Pour eux, c'est l'apathie qu'il s'agit de viser, qui, avec la liberté et l'autarcie, fait émerger le bonheur. Cette apathie réside dans la volonté de se retrouver dans un état suffisamment serein pour affronter les aléas de la vie, du quotidien, sans éprouver de souffrance. Pour atteindre l'apathie, les cyniques invitent à s'inspirer de deux ordres : le monde animal - les animaux ont des besoins très restreints - et le monde divin - dans l'imaginaire collectif, les dieux n'ont pas de besoin ;  il s'agit de tendre vers cette attitude. Selon les cyniques, les plaisirs sont trompeurs car ils n'apportent qu'un bonheur éphémère, vain et sont source de déceptions à venir.

A travers le cynisme, la philosophie se perd en même temps qu'elle trouve de nouveaux points d'ancrage. C'est une mise à bas des concepts philosophiques, intellectuels, pour l'émergence d'une philosophie en actes sur des bases nouvelles dévoilant la nature telle qu'elle nous a faits.


Quels exercices spirituels y sont associés ?


Les cyniques pratiquent leur philosophie en jetant une expression, une réflexion, une remarque mettant à mal l'interlocuteur.


Diogène, par de multiples provocations, n'hésitait pas, pour réveiller les esprits englués dans les conventions sociales, à traîner derrière lui un hareng en pleine ville, à s'exhiber faisant l'amour, à se masturber sur la place publique. Ces actes, cette méthode ne sont pas innocents pour le cynique. Il s'agit d'abandonner les fausses pudeurs, les faux respects d'autrui pour, enfin, pouvoir philosopher convenablement. Ce ne sont aucunement des provocations gratuites, provoquer sert à démontrer à quel point nos conventions sont ancrées dans des habitudes, dont on ne se demande plus si elles sont légitimes et utiles.


La philosophie de l'autarcie est au cœur de l'exercice spirituel des cyniques. Savoir être ce que l'on est sans besoin d'autrui en est l'essence, au risque s'il le faut, de posséder très peu, de vivre de très peu. Cette autarcie, c'est aussi savoir s'occuper de soi-même. L'exercice spirituel est propre à l'homme émancipé de toute transcendance, dégagé de toute religion. En effet l'existence de divinités ferait dans le même temps émerger la crainte que l'on pourrait en avoir, et cela serait nuisible au bonheur. Ces aspects sont d'autant plus probants dans la philosophie cynique que celle-ci dénonce les dévotions, les mythologies, les superstitions et toute la moralité qui peut en découler.

Dans le cynisme, on retrouve de nombreux traits de la pratique du dialogue comme exercice spirituel. Il y a une volonté de transmettre la philosophie par les actes et la parole. Il s'agit en outre de noter ici la forte nécessité de dialoguer avec soi-même, ce qui peut se faire grâce à la volonté qui conduit à l'ascèse, laquelle est capitale pour les cyniques. Lorsqu'un jour on demande à Diogène comment on pouvait devenir maître de soi, il répondit : "en se reprochant à soi-même ce que l'on reproche aux autres". Antisthène, à qui on demanda quel résultat il avait tiré de la philosophie, répondit : "être capable de vivre en compagnie de soi-même".

La pratique cynique est caractérisée par des règles qui conditionnent le "dire-vrai", privilégiant la parole dite avec une certaine vigueur, un certain courage. Il y a un lien entre la forme esthétique, belle, de l'existence et le franc-parler des cyniques. Le cynique observe, souligne, analyse ;  il éclaire. Grâce à ses analyses, il annonce la vérité, il dit les choses vraies, sans crainte.

Pour conclure : ce billet achève cette série sur ces trois courants philosophiques antiques grecs. J'y reviendrais un peu plus tard en abordant un ouvrage de Han Ryner, "Petit Manuel Individualiste". En espérant que cette série d'articles vous a permis de découvrir des principes philosophiques rarement abordés au lycée, et que cela vous a donné envie d'en apprendre plus à leur sujet.