lundi 30 décembre 2013

Un coup d’œil sous le capot - On Mighty Thews / Barbarians of Lemuria

Avant-propos: comme le blog de la Cellule a son Garage, j'ai décidé de mettre moi aussi les mains dans le cambouis en allant trifouiller dans les rouages de quelques jeux de rôle à ma disposition. Ainsi pour faire suite à mon article sur les briques élémentaires du jeu de rôle, j'ai décidé de décortiquer deux jeux de Sword & Sorcery avec des systèmes relativement simples: On Mighty Thews et Barbarians of Lemuria. Je vais scruter ces deux jeux sous différents aspects: la création des personnages, la mise en place du contexte, les principes de maîtrise du jeu, l'opposition, la résolution des conflits et la progression des personnages. A l'aune de tous ces éléments nous pourrons alors statuer si toutes les belles promesses annoncées sur la couverture sont tenues... Belle carrosserie en tout cas...hum Megan, veux-tu bien soulever le capot du premier jeu ? Merci...



On Mighty Thews



La quatrième de couverture du jeu annonce: "Vos héros seront de puissants guerriers, aventuriers ou sorciers faisant face à des périls où ils pourront y laisser leur peau. Mais ils rencontreront aussi des civilisations exotiques, de sombres créatures et d'anciennes magies. On Mighty Thews permet à vous et à vos amis de raconter d'étranges et sanglantes histoires de Sword & Sorcery dans un monde que vous aurez créé ensemble. Parfait pour une partie sur le pouce, ne demandant aucune préparation, vous pouvez y jouer quelques minutes après avoir ouvert le livre."

Voyons si toutes ces promesses sont tenues...



Création des personnages
Pour créer son personnage il suffit de répartir les valeurs d4, d8 et d12 entre les 3 traits Guerrier, Sorcier et Aventurier, de créer ensuite 2 compétences à d6 et d10 et enfin un trait de caractère à d20. Choisissez un nom, un semblant d'historique et voilà !

Mise en place du contexte
Aucun univers n'étant décrit dans OMT c'est aux joueurs de le créer. Pour cela on écrit sur une feuille blanche les différents traits de caractère des personnages sur ce qui va devenir la carte de la région où les personnages vont évoluer. Chaque joueur ajoute ensuite à son tour d'autres éléments sur la carte, en se basant sur ses connaissances et ses références littéraires en matière de Sword & Sorcery. En cas de panne d'imagination, il est aussi possible de s'aider de la liste des lieux en fin d'ouvrage. Enfin, le MJ choisit un des lieux créés pour démarrer la partie.

Principes de maîtrise 
Le MJ établit où sont les PJs, décrit la scène et l'environnement, quels autres personnages non joueurs sont présents et décide des réactions de ces PNJs. Les joueurs fixent les objectifs de leur personnage pour cette scène, ce qui les a amené là, apportent des détails et décrivent leurs actions, et ce tout en essayant d'atteindre leur objectif. La scène se termine quand l'objectif est atteint ou quand tous les personnages ont échoué. A noter que si un joueur fait agir son personnage selon son trait de caractère lors de la scène, il obtient un jeton de relance lui permettant de relancer un jet à tout moment.

Opposition
Elle prend la forme de PNJ mineur ou majeur. Pour tuer ou sortir d'une scène un PNJ mineur il faut lui infliger 1 blessure et 4 blessures pour un PNJ majeur (comme pour les PJs). Les PNJs mineurs disposent d'un seul trait avec une valeur de dé fixée selon la difficulté souhaitée par le MJ. Les PNJs majeurs eux disposent d'un trait et de deux compétences à d6 et d10.

Résolution des conflits
Pour résoudre une action il suffit de lancer les dés correspondant au trait adéquat, à la compétence si elle peut être utilisée et au trait de caractère si le personnage agit à son encontre. On fait appel à ce système de résolution quand:
  • quelque chose de dangereux est effectué, la réussite est obtenue si un dé obtient une valeur de 4 ou +,
  • quand deux adversaires veulent faire la même chose ou se combattent, on commence alors par définir l'enjeu ou par décrire l'intention de l'action de combat, celui qui obtient le résultat le plus élevé l'emporte et s'il s'agit d'un combat occasionne 1 blessure à son adversaire.
Puis par point de succès supplémentaire (c'est à dire par tranche de 2 points au-dessus du seuil ou du jet de l'adversaire), on peut:
  • ajouter un fait (réalisable également sur un jet de Sorcier quand un nouveau élément est introduit par le MJ),
  • avoir +1 sur une prochaine action,
  • annuler l'intention de combat de l'adversaire (sinon elle a lieu),
  • occasionner une blessure de plus.

Progression des personnages
Il n'y aucun système de progression des personnages dans OMT. Il n'est même pas prévu de permuter les dés de traits ni de pouvoir changer l'intitulé des compétences ou du trait de caractère. Les personnages sont considérés comme au maximum de leur potentialité dès le départ.

Verdict
Alors qu'en est-il par rapport au cahier des charges annoncé ?

La puissance des personnages est somme toute relative mais bien adaptée face à l'opposition. Pour ce qui est de rencontrer des civilisations exotiques, de sombres créatures et d'anciennes magies, cela va fortement dépendre des connaissances des joueurs en regard des canons de la Sword & Sorcery. Du coup, les histoires racontées peuvent effectivement se révéler étranges si les joueurs ne partagent pas totalement une vision commune de l'univers créé. Car même si le processus de création de la carte est une bonne idée pour regrouper des idées au début de la partie, cela ne suffit pas pour rendre l'univers cohérent et savoir si les joueurs ont bien un socle commun. Enfin pour l'avoir tester par deux fois, il est effectivement bien possible de lancer une partie sur le pouce et ce sans préparation.

OMT dispose d'un système minimum mais qui cadre bien la mise en place des scènes et la répartition d'autorité entre le MJ et les joueurs. Mais au-delà de ces fonctions le système n'apporte aucune saveur particulière et ne soutient à mon sens aucune démarche créative bien définie. Le jeu repose trop sur les capacités des participants à alimenter la partie de leurs connaissances propres dans le domaine. Michelle, peux-tu soulever le capot du jeu suivant ? Attends un peu avant de bidouiller le moteur avec ton tournevis, on va voir ce qu'il vaut sans ajustements préalables...


Barbarians of Lemuria



La quatrième de couverture du jeu annonce: "Considéré comme un des meilleurs jeux de rôle de Sword & Sorcery par de nombreux critiques, Barbarians of Lemuria bénéficie enfin d'une traduction française ! Fans de Conan, du Souricier Gris ou d'Elric ne cherchez pas plus loin. Pour écraser vos ennemis, les voir mourir devant vous et écouter les lamentations de leurs femmes, vous aurez besoin de deux dés à six faces et d'un petit quart d'heure pour créer vos personnages avant de vous lancer dans un des deux scénarios proposés dans cet ouvrage."

Voyons si tous ces compliments flatteurs sont mérités et si BOL s'en sort mieux que OMT pour émuler un univers de Sword & Sorcery.


Création des personnages
Les joueurs commencent par réfléchir au concept de leur personnage. Ils ont ensuite 4 points à répartir parmi 4 attributs (vigueur, agilité, esprit, aura), 4 points à répartir parmi 4 aptitudes de combat (bagarre, mêlée, tir, défense), à noter leurs traits (avantages/défauts) selon l'origine de leur personnage, à répartir 4 points parmi 4 carrières, à calculer la vitalité (10+vigueur) de leur personnage (quand elle est <0, le personnage perd 1 point de vitalité par tour et à -6 il est mort). Enfin, chaque personnage obtient 5 points d'héroïsme (qui permettent d'ajouter des éléments si un fait est vague mais ceci avec l'aval du MJ, relancer un jet, augmenter le rang de succès d'un jet, éviter la mort de son personnage).

Mise en place du contexte
L'ouvrage comprend une description de la Lémurie, des carrières accessibles aux personnages, des origines des peuples, un bestiaire et une liste de langages. Bien que succinctes, toutes ces descriptions sont à mon sens suffisantes pour servir de base commune aux joueurs pour évoluer dans cet univers, mais il restera comme travail au MJ de transmettre toutes ces informations aux joueurs d'une manière ou d'une autre.

Principes de maîtrise
Le MJ a pour rôle de présenter le monde et de décrire les événements auxquels les joueurs sont confrontés, ainsi que de jouer le rôle des PNJs. Par contre il n'y a aucun conseil ou guide de maîtrise pour émuler l'univers particulier de la Sword & Sorcery, il est même indiqué qu'il est préférable d'être familiarisé avec le genre littéraire de la Sword & Sorcery pour savoir comment décrire un PNJ ou l'ambiance, et à quel rythme mener une partie...en quelque sorte le seul conseil donné, c'est : allez à la source littéraire pour avoir toutes ces réponses...

Par contre d'autres conseils, eux bien présents, sont assez rétrogrades, me gênent ou sont en contradiction même avec ce qu'ils essayaient de dénoncer (cf. dirigisme plus bas), par exemple:
- Si un joueur tente une action pour laquelle il semble ne pas y avoir de règles, c'est au MJ de trancher.
- Il est possible de faire une partie de BoL sans jamais lancer les dés ou presque.
- Prenez l'habitude de déterminer à quel moment l'application des règles est importante et à quel moment les ignorer pour faire avancer le scénario. Les dés peuvent créer un élément de surprise mais si l'échec empêche l'histoire d'avancer...lancer les dés n'est peut être pas une bonne idée.
- Dans le § Évitez le dirigisme on peut lire : le dirigisme consiste à imposer votre scénario aux joueurs plutôt que de leur laisser l'initiative. Les objectifs des joueurs ne colleront pas toujours avec ce que vous aviez en tête. Ne les forcez pas à suivre votre plan en contrecarrant toutes leurs actions. Une fois que vous avez compris ce qu'est le dirigisme, il vous sera possible d'être plus subtil et de camoufler vos intentions aux joueurs quand vous y aurez recours. Les joueurs aiment croire qu'ils ont le destin de leurs personnages entre leurs mains, ne les décevez pas.

Opposition
Comme dans OMT, celle-ci prend la forme de PNJ mineur (piétaille) ou majeur (vilain). Ces derniers disposent de points de vilenie, l'équivalent des points d'héroïsme des PJs, dont le MJ peut également se servir pour faire s'échapper un vilain. Les PNJs mineurs sont définis par les seuls 4 attributs de base, alors que les PNJs majeurs sont construits comme les PJs.

Résolution des conflits
On interroge le système de résolution quand un personnage tente une action à l'issue incertaine. Pour cela il faut lancer 2d6 + attribut + combat ou carrière + ou - un modificateur selon la difficulté estimée par le MJ (+1 à -4). Si le résultat est > ou = à 9, c'est une réussite sinon c'est un échec. Si on obtient 12 avec les 2d6 c'est un succès automatique et si c'est 2 c'est un échec automatique.

Progression des personnages
A l'issue de chaque scénario, le MJ distribue des points d'expérience aux personnages des joueurs qui leur permettent:
  • d'augmenter un attribut / une carrière / une aptitude de combat,
  • d'acheter une nouvelle carrière / un nouveau avantage,
  • de retirer un défaut.

Verdict
Alors BoL s'en sort-il mieux que OMT ?

Pour un jeu qui s'est vu attribué comme critique d'être un des meilleurs jeu de rôle de Sword & Sorcery, je trouve qu'il manque tout de même pas mal de choses pour mériter ce titre. Quand j'achète un jeu avec un thème fort, je m'attends à ce que l'auteur en ait fait une analyse poussée et utilise ces conclusions pour créer un système de jeu qui mette en avant ces grandes thématiques (civilisation vs barbarie, corruption de la recherche du pouvoir, anciens et nouveaux dieux, etc.). Hors ici, le seul ajout par rapport à OMT consiste en la description d'un univers "typique" de Sword & Sorcery et l'inclusion de ces éléments dans les atouts/désavantages des origines des personnages. Le seul conseil en lien avec les thèmes de la Sword & Sorcery c'est d'aller puiser dans la littérature de genre toutes les techniques de description et de rythme, c'est un peu léger, non ?

Le système est en fait tellement générique (pour preuve Shiryu l'a décliné sans mal pour faire du super-héros...), sans saveur et sans réel impact pour émuler un style Sword & Sorcery qu'il est possible, voir souhaitable, comme c'est écrit noir sur blanc dans le texte, d'ignorer parfois totalement le système de jeu...la cerise sur le gâteau revient au paragraphe sur le dirigisme qui tend bien à montrer que le dirigisme c'est le mal, enfin bon, c'est le mal quand les joueurs s'en rendent compte, mais si ce n'est pas le cas ce n'est pas grave, vous pouvez continuer à en faire...

Finalement Michelle ce tournevis va servir, même si je pense qu'il faudrait remplacer totalement le moteur au point où on en est...ah, tu feras attention tu as l'auteur du jeu qui est derrière toi et il n'a pas l'air très content...mais...Michelle !?!?! Que comptes-tu faire avec ce tournevis !?!?! Ô mon dieu !!! Machete !!!




Pour conclure: avez-vous déjà testé ces deux jeux ? Avez-vous également un avis mitigé sur l'intérêt de ces deux systèmes ? Ou bien au contraire êtes-vous un fan inconditionnel d'un de ces deux jeux ? Et surtout pourquoi ? Et sinon, envie de me conseiller un vrai bon jeu de Sword & Sorcery ?

Venez les filles, notre boulot ici est accompli...Hasta luego !

dimanche 8 décembre 2013

Quelles sont les briques élémentaires du jeu de rôle ?

Avant-propos: si l'on devait concevoir le jeu de rôle le plus minimaliste possible, quels seraient les éléments indispensables à sa réalisation ? A quoi se réduit l'essentiel des fonctions nécessaires à la constitution d'un jeu de rôle ? Nous aborderons dans ce billet ces questions au niveau théorique en s'appuyant sur le point de vue de Vincent Baker ainsi qu'au niveau pratique en scrutant de près le nano-jeu d'initiation d'Epidiah Ravachol.




Qu'est-ce qu'un jeu de rôle selon Vincent Baker


1) Un jeu de rôle est un jeu

Un jeu a un objectif et des outils. Aux échecs votre objectif est de défaire le roi adverse. Vos outils sont le mouvement en diagonal des fous, en vertical et horizontal des tours, des autres pièces selon leur mode spécifique, d'effectuer la capture des pièces adverses, de roquer, etc. A Super Mario Bros l'objectif est d'atteindre la fin du dernier niveau. Vos outils sont de courir, sauter, lancer des boules de feu, casser des briques, etc. Dans ces deux cas, les outils à votre disposition rendent possible l'atteinte de votre objectif, mais sans que cela ne soit facile ou certain. C'est là une idée clé, la distance ou tension créée entre l'objectif du jeu et les outils qu'il procure pour l'atteindre. 

Dans un jeu de rôle :
  • Votre personnage peut avoir un ou des but(s)
  • En tant que joueur, vous pouvez avoir vos propres buts
  • Le jeu a un objectif, décidé par le concepteur
  • Le concepteur avait des buts pour le design de son jeu, sa publication, etc.
Il est souvent négligé dans les jeux de rôle, lorsqu'il est intégré à leur design, que c'est l'objectif qui donne aux outils toute leur valeur.

2) Un jeu de rôle est une conversation

Un jeu de rôle, c'est une conversation. Une conversation a un ordre et un sujet. Les règles d'un jeu de rôle ne font pas autre chose qu'orienter cette conversation : ce qu'on doit dire, ce qu'on ne peut pas dire, quand et comment on doit le dire. C'est aussi ce qu'on appelle "le principe de Lumpley" : le système (qui inclut mais ne se limite pas aux règles) c'est l'ensemble des moyens par lesquels le groupe s'accorde sur les événements imaginaires pendant la partie.

L'idée clé ici est que l'ordre de la conversation que vous tenez dépend du sujet de la conversation. Au cours du jeu quelle variété de sujets est couverte par la conversation ? Comment l'ordre de la conversation évolue ou non pour s'adapter au changement de sujet ?

1+2) Dans un jeu de rôle, 1 et 2 entrent en contact.

Lancer les dés, intervenir à son tour, choisir parmi plusieurs options, dire ce que votre personnage fait: ce sont les outils dans un jeu de rôle. Comment faire pour orienter la conversation dans votre jeu ? La réponse est que cela dépend de l'objectif du jeu, et de la tension que vous voulez créer entre cet objectif et les outils du jeu.


Qu'est-ce qu'un jeu de rôle ? selon Epidiah Ravachol


Le texte de ce jeu est suffisamment court pour être reproduit en totalité ici, cela permettra plus facilement d'en discuter, le voici.

C’est un jeu de société à jouer entre amis.
Trouvez 2 ou 3 amis, mettez-vous à l’aise. Ça vous prendra 15-20 min.

C’est l’exploration de scénarios prenants ou rocambolesques.
Dites à vos amis que vous allez jouer des braqueurs de banque modernes à la couverture parfaite : ils sont aussi astronautes et leur fusée part le jour même.

C’est la possibilité d’être un autre.
A votre tour posez aux autres trois questions à propos de leur astrobraqueur respectif. Choisissez l’un d’eux qui sera le cerveau du braquage, un autre qui sera le commandant de la mission spatiale, un troisième qui a décidé en secret de se rendre.

C’est une célébration des situations épineuses.
Commencez dans le feu de l’action. Posez la scène comme dans un film. Nos astrobraqueurs sont à la banque le jour du lancement, cagoulés, armes aux poings. Dites qui d’autre se trouve là, ce qu’ils font, ce qui a mal tourné.

C’est un rêve éveillé collaboratif.
La scène posée, choisissez un joueur pour être au centre de l’attention. Les autres joueurs peuvent dire ce que pensent ou font les personnages tiers : banquiers, flics, gardes, otages. . . à l’exception de l’astrobraqueur d’un autre joueur. Le joueur au centre de l’attention peut uniquement dire ce que pense ou fait son propre astrobraqueur.

C’est un exercice pour votre sens de la narration.
Discutez de ce qui arrive et de ce que chacun fait. Quand quelqu’un fait quelque chose de difficile à faire ou qui pourrait faire du mal à quelqu’un, y compris à lui-même, faites-lui remarquer à voix haute. Vous pouvez provoquer ces moments en faisant agir votre astrobraqueur de façon imprudente ou un tiers de façon brave, agressive ou désespérée.

C’est une façon de vous forcer à imaginer des histoires intéressantes.
Si vous faites remarquer que quelqu’un fait quelque chose de difficile, désignez un 3ème joueur qui décidera ce qui doit se produire avant que cette tâche soit achevée. Si vous faites remarquer que quelqu’un pourrait faire du mal, désignez un 3ème joueur qui décidera qui aura mal et comment. Si vous faites remarquer que quelqu’un fait quelque chose à la fois difficile & faisant du mal, désignez un 3ème joueur qui décidera de quelle façon l’action échoue et met en danger toute l’équipe. Si c’est le personnage au centre de l’attention à qui on a fait la remarque, terminez la scène et passez au paragraphe suivant ; sinon continuez à jouer.

C’est quelque chose qui continue.
Quand une scène se termine, un autre joueur en pose une nouvelle et un autre astrobraqueur devient le centre d’attention. Dites qui est là et qu’est-ce qui va de travers. Est-ce une poursuite en voiture, un problème avec les otages, une visite surprise quand vous enfilez vos scaphandres, une fusillade sur le pas de tir ? N’importe quoi qui suit naturellement. La partie se termine quand tous les astrobraqueurs ont été soit tués, soit arrêtés, soit se sont échappés en orbite.

Petite étude comparative


Ce court jeu d'initiation d'Epidiah Ravachol est de manière surprenante un excellent exemple de mise en pratique des principes de V. Baker.

L'objectif du jeu est clairement fixé (la partie se termine quand tous les astrobraqueurs ont été soit tués, soit arrêtés, soit se sont échappés en orbite), 3 rôles de personnage sont déterminés avec chacun un objectif propre (l’un d’eux sera le cerveau du braquage, un autre sera le commandant de la mission spatiale, un troisième a décidé en secret de se rendre), le contexte est posé avec un début du jeu in media res.

Pour ce qui est des règles et des outils permettant de cadrer la conversation, un des joueurs incarne son personnage et le fait évoluer tandis que les deux autres joueurs se substituent au rôle du MJ en incarnant l'environnement, les PNJs, l'opposition etc. La résolution des situations conflictuelles (quelque chose de difficile à faire ou qui pourrait faire du mal à quelqu’un) se fait par l'intervention d'un tiers qui décide ce qui doit se produire avant que cette tâche soit achevée. Ce système de résolution basique permet d'aller au-delà du simple "ce que vous dites a lieu de la manière dont vous l'avez décrit".

En fait la proximité de vision de ces deux auteurs par rapport à ce que doit contenir a minima un jeu de rôle n'est pas si surprenante que cela. En effet lorsque l'on consulte la liste conseillée par V. Baker pour créer soi-même un (nano-)jeu, on trouve qu'Epidiah Ravachol a répondu à presque toutes ces questions dans son propre jeu, à savoir:

  • qui sont les personnages, que sont-ils en train de faire et quel obstacle se dresse devant eux ? 
  • quel est le rôle des joueurs ?
  • quel est l'objectif des PJs ?
  • est-ce qu'il y a un MJ ?
  • qui est le MJ ?
  • quel est le rôle du MJ ?
  • quel est l'objectif de jeu du MJ ? que cherche-t-il à découvrir en jouant ?
  • dans quelles circonstances doit-on jeter les dés ?
  • selon le résultat des dés, que peut-il se dérouler ensuite ?
  • selon ce qui se déroule ensuite, quelle conversation devrait-on avoir sur ces événements ?
  • quelles circonstances demandent une conversation particulière, mais pas de jet de dés ? et quelle conversation devrait-on avoir à ce moment-là ?
  • comment sait-on que la partie est terminée ?
Cette liste semble constituer une excellente base de questions à se poser lorsque l'on se lance dans la création de son propre jeu de rôle.

Pour conclure: bien sûr on peut trouver que le "système de résolution" des conflits dans le jeu d'Epidiah Ravachol est trop léger, mais il faut bien penser qu'en introduisant d'autres mécaniques dans un jeu de rôle celles-ci doivent avoir une utilité avérée au-delà de ce que permet déjà un simple système de résolution, et surtout que ces mécaniques restent bien focalisées sur ce qui importe réellement par rapport au contexte du jeu et à l'expérience de jeu recherchée. Selon vous, peut-on encore réduire le nombre d'éléments nécessaires à la conception d'un jeu de rôle par rapport à ce qui est présenté ici ? Ou bien au contraire pensez-vous peut-être que le nano-jeu d'Epidiah Ravachol ne peut pas être considéré comme un véritable jeu de rôle ? Que faudrait-il alors ajouter pour qu'il en devienne un ?

lundi 25 novembre 2013

Le jeu de rôle doit-il avoir un système de récompenses ?

Avant-propos : le jeu de rôle est-il un jeu comme les autres ? De fait, un système intrinsèque de récompenses est-il nécessaire ou bien le seul fait d'y jouer est-il une récompense en soi ? Faut-il récompenser le roleplay alors que c'est un des éléments clés du jeu de rôle ? Je vais aborder dans cet article les éléments qui me font penser qu'un système de récompenses explicite et favorisant le style de jeu recherché est un plus en matières de jeu de rôle.






Du jouet au jeu


Un jouet est un objet qui peut être manipulé de plein de manières différentes, mais qui ne propose pas au joueur un but. Une fois que le joueur décide pour lui même ce qu'il va faire avec ce jouet, alors il devient soudainement un jeu. Par exemple, une balle est juste un jouet. Vous pouvez la faire rebondir, la lancer et l'attraper. Si vous en avez plusieurs, vous pouvez jongler avec. Cependant, une fois que vous avez décidé que vous voulez la lancer à travers un cerceau pour marquer des points, que des amis vont faire de même, et que l'équipe ayant marqué le plus de points sera déclarée vainqueur, vous avez maintenant un jeu. Les mécaniques d'un jeu de rôle sont similaires au fait de faire rebondir, lancer, attraper ou jongler. Individuellement chacune de ces actions ne fournit pas de but, mais elles décrivent ce que vous pouvez faire avec la balle. Taper dans un ballon ou mettre un ballon dans des buts n'est pas amusant en soi. Mais l'amusement qu'on obtient en jouant au football est basé sur une manière "organisée" de taper dans le ballon et ce qui fait cette "organisation" ce sont les objectifs (j'aurais pu mettre buts mais cela aurait prêté à confusion!) et le jeu s'organise parce que vous avez ce simple système de récompenses en place. Il y a une valeur attachée à une certaine action, et toutes les tactiques et stratégies de jeu tournent autour d'un système de récompenses*. Maintenant quand vous jouez à un jeu de rôle, l'amusement n'est pas le système de récompenses en soi, l'amusement est ce que vous obtenez du jeu qui s'organise en regard de ce système de récompenses.

* Ron Edwards avance l'idée de la récompense comme outil d'organisation : bien que je puisse vouloir que mon personnage monte de niveau, ce qui rend le jeu amusant c'est que les cycles de récompense contribuent à la pertinence de cette montée de niveau, et que le jeu valide socialement mes efforts - ainsi le jeu peut être amusant même quand mon personnage est totalement dépassé et écrasé par les évènements.

A D&D version "old-school", l'or en lui même n'est pas fun, trouver comment obtenir de l'or, savoir quel monstre éviter, quel monstre combattre, celui auquel s'allier, lequel tromper, quel trésor prendre, lequel laisser derrière soi, quand faire demi-tour, quand progresser plus avant - c'est là que se trouve l'amusement qui résulte au fait que "or = xp".

Dans Mouse Guard, les points d'Artha ne sont pas funs en soi, mais les drames autour du fait de poursuivre ses Convictions, trouver comment votre personnage va pouvoir vivre avec, se battre contre eux, s'apercevoir qu'ils sont faux, s'arranger avec d'autres personnages et alliés qui ont des Convictions en opposition avec les vôtres, décider où et quand fixer des limites, décider d'abandonner une Conviction pour une autre, c'est là que se trouve l'amusement. 


Le but du jeu



Il est à noter qu'à partir du moment où un système de récompenses organise le jeu, il devient "non-optionnel" de ne pas s'en occuper en jeu. A D&D, il s'agit de l'efficacité de votre personnage lors de l'exploration du donjon, à Mouse Guard il s'agit d'avoir des Convictions "dramatiques". Bien sûr vous allez probablement faire du roleplay à D&D, car tous les jeux de rôles dépendent du fait de jouer avec la fiction, mais cela sera d'importance secondaire par rapport à l'efficacité du personnage. A Mouse Guard vous pourriez aussi avoir des problématiques autour de l'or ou du combat, mais seulement si celles-ci correspondent à des situations liées à des Convictions. Si le jeu n'est pas organisée autour de cela, d'une manière ou d'une autre, alors cette question est optionnelle. Combien de personnages de D&D ont les noms de leurs parents définis ? Voyez à quel point cela va tout modeler jusqu'à la création des personnages.

C'est pourquoi c'est souvent une manière facile et directe lors du design d'un jeu que de récompenser ce que vous voulez que les joueurs accomplissent. Bien sûr, ceci n'est pas absolument nécessaire pour que les joueurs le fassent malgré tout. En fait, il est tout à fait possible de créer des objectifs de jeu qui ne sont pas quantifiés systématiquement. Mais pour que cela fonctionne, le système de récompenses doit informer et affecter les choix des joueurs en regard des objectifs actuels. Par exemple à Dogs in the Vineyard, l'objectif est de réussir à aider les gens tout en restant une personne décente. Le système de récompenses favorise deux choses: s'insinuer dans le drame d'autres personnes (en risquant d'être blessé, insulté, etc.) et sortir ses flingues quand vous voulez vraiment que quelque chose se réalise. Vous remarquez que ces deux aspects ont un impact sur ce que représente l'idée d'aider des gens et d'être une personne décente. Plutôt que de récompenser le fait d'aider des gens ou d'être une personne décente, cela met ces notions au défi et crée des objectifs divergents.


“Je n'ai pas besoin de récompenses pour jouer”



Si on regarde les systèmes de récompenses comme des facteurs d'organisation pour jouer, peut être qu'il serait plus facile de trouver des personnes qui jouent d'une manière qui correspond à celle que vous recherchez, surtout si les règles du jeu vous orientent explicitement vers ce style de jeu en particulier. Si vous pouvez obtenir d'excellentes sessions de jeu sans système de récompenses, cool!, mais considérez aussi le fait que vous pouvez avoir affaire à plusieurs joueurs qui n'arrivent pas à "capter" un jeu. Peut être que ce serait tout de même plus simple s'il y avait plus de clarté dès le début sur un jeu auquel on veut jouer et comment on est supposé y jouer.

Pour conclure : Avez-vous besoin d'un système de récompenses en jouant au jeu de rôle ? Pensez-vous que si ce système de récompenses était plus explicite il serait plus simple d'aborder un jeu, de saisir quel est son objectif et de savoir plus vite s'il vous plaira en définitive ?

lundi 11 novembre 2013

Des projets plein les cartons...et seulement 24 heures par jour !

Avant-propos : petit article bilan maintenant que le concours Vieux Pots Nouvelles Soupes 2013 est terminé. Il s'agit de faire le point sur mes deux participations à ce concours, et de mettre par écrit la liste des autres idées d'adaptation qui me trottent dans la tête, même si le non renouvellement du concours Vieux Pots Nouvelles Soupes l'année prochaine fera certainement que faute de contrainte temporelle, ces adaptations ne verront peut être jamais le jour, ou bien dans un temps non déterminé...






Ar-Agôn : La Communauté


Ma proposition au concours Vieux Pots Nouvelles Soupes 2013 n'a pas réussi à se hisser à la première place même si semble-t-il la délibération a été très serrée. A l'heure actuelle, mon adaptation a été téléchargé 46 fois sur le site de narrativiste, auxquels il faut ajouter les 75 téléchargements initiés depuis ce blog. Une partie de ces 75 téléchargements ont fait suite à l'ouverture d'un fil de discussion sur Story Games. Suite à l'enthousiasme ou la curiosité de certains intervenants là-bas, dont notamment et non des moindres John Harper himself, j'ai décidé de me lancer dans la traduction en anglais de cette adaptation avec l'aide d'un ami tolkienophile. C'est la première fois que je me livre à ce genre d'exercice, et j'espère pouvoir boucler cela dans un délai raisonnable.

De Chair & d'Acier


Ma première participation au concours Vieux Pots Nouvelles Soupes en 2012 avait vu ma proposition terminer troisième. Il s'agissait de l'adaptation de la spécificité des Armes-Dieux de Bloodlust à Sorcerer. Aujourd'hui, un an après, près de 270 téléchargements de cette adaptation ont été réalisés...mais aucun retour ou presque...

Ces propositions ne sont que les deux d'une longue liste d'idées d'adaptation dont certainement peu verront vraisemblablement le jour en définitive.

Dans les cartons


Voici les projets qui me trottent souvent en tête, certains étant débutés et d'autres encore au stade de la réflexion :

  • un hack d'Apocalypse World dans l'univers de Dune,
  • un hack de FATE dans l'univers de Conan,
  • un hack de Bliss Stage et de 3:16 Carnage dans les Etoiles pour l'univers de Macross / Robotech,
  • un nouveau hack de DitV pour Sons of Anarchy,
  • un hack de Lady Blackbird pour Capitaine Flam,
  • l'adaptation d'une campagne de Baldur's Gate à Dungeon World,
  • ...

Au-delà de "simples" adaptations, j'ai eu un temps le projet de faire un jeu dans l'univers de la BD "De Cape et de Crocs" basé sur un système de rimes entre autre. Récemment il y a eu cette idée de jeu en solitaire autour des grands principes de la philosophie antique grecque, et un autre projet que je garde pour l'instant pour moi, même si je sais qu'il nécessitera un immense boulot...

...et si seulement cela s'arrêtait au jeu de rôle !

Des jeux pour comprendre


Après avoir découvert le travail de Brenda Brathwaite (si vous ne la connaissez pas encore, regardez cette vidéo : Gaming for understanding), je n'ai pu m'empêcher de penser que bon nombre de sujets historiques français ou européens pourraient bénéficier de ce genre de traitement, ne serait-ce que le sujet de la guerre 14-18 dont nous "fêterons" les 100 ans l'année prochaine.

Le plus difficile pour ce genre de jeux étant de définir quel message on veut faire passer aux participants et à créer des mécaniques de jeu qui supportent cette expérience recherchée (des jeux de plateau avec une démarche narrativiste en quelque sorte où l'on recherche à créer une "résonance émotionnelle" avec le sujet en cours de jeu). Que se passerait-il si en jouant à Puerto Rico, vous réalisiez soudainement, que les pions noirs que vous déplacez dans vos champs pour récolter des ressources, sont en fait des esclaves noirs amenés de force d'Afrique, exploités et fouettés ? Voudriez-vous toujours gagner, et à quel prix ?

Pour conclure : bien sûr je ne dois pas être le seul à avoir des idées qui fourmillent par dizaines, mais vous comment faites-vous pour faire le tri et vous focaliser sur une seule idée à la fois ? Faut-il savoir abandonner une partie de ces idées, et ce même à un stade avancé, pour en voir surgir et aboutir d'autres peut être meilleures ? Vous en pensez quoi ?

dimanche 3 novembre 2013

Les Principes et Exercices Spirituels de la Philosophie Cynique

Avant-propos :  le cynisme est un courant philosophique créé par Antisthène, mais dont le plus célèbre représentant est Diogène de Sinope. Ce dernier a accumulé un grand nombre d'anecdotes et de bons mots, grâce à son art de l'invective et de la parole mordante. Mais le héros et modèle des philosophes cyniques est Héraclès, car c'est un héros qui ne se laisse influencer par personne, est libre et n'a pas d'attachement particulier. Les cyniques proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire. Je vais vous présenter succinctement les principes et la mise en pratique de cette philosophie, et si vous voulez en savoir plus je vous conseille la lecture de l'excellent ouvrage de Michel Onfray à ce sujet.




Quels sont les principes cyniques ?


L'ensemble de la philosophie cynique repose sur la volonté de renverser l'ordre établi, les conventions sociales à l'endroit d'une civilisation où la réussite sociale, la gloire et la richesse sont des valeurs dominantes.

Selon les cyniques, la vertu est la même pour tous les individus et elle peut s'apprendre. Il s'agit pour cela de désapprendre ce qui est mal en écartant notamment toutes les traditions, les conventions sociales. La vertu ainsi que l'effort sont pour les cyniques ce qui constitue la richesse, celle-ci s'oppose à tous les biens matériels qui font courir les Hommes. Et pour cela il n'est pas besoin de grandes qualités intellectuelles, mais seulement de volonté. C'est elle qui permet d'acquérir les qualités du cynique : l'endurance, la maîtrise de soi, l'impassibilité. Cette volonté, outre la vertu, permet de savoir comment se comporter, et se maîtriser face à la souffrance quotidienne, tous les obstacles à venir de la vie, que ce soit la mort, la faim, la soif...

Mieux vivre, mieux-être, vivre du mieux possible sont aussi les bases de la philosophie cynique. Les aléas de la fortune, les angoisses de la possession, la quête du pouvoir sont tout autant d'éléments qui peuvent nuire à une vie bonne et sans souci. Pour eux, c'est l'apathie qu'il s'agit de viser, qui, avec la liberté et l'autarcie, fait émerger le bonheur. Cette apathie réside dans la volonté de se retrouver dans un état suffisamment serein pour affronter les aléas de la vie, du quotidien, sans éprouver de souffrance. Pour atteindre l'apathie, les cyniques invitent à s'inspirer de deux ordres : le monde animal - les animaux ont des besoins très restreints - et le monde divin - dans l'imaginaire collectif, les dieux n'ont pas de besoin ;  il s'agit de tendre vers cette attitude. Selon les cyniques, les plaisirs sont trompeurs car ils n'apportent qu'un bonheur éphémère, vain et sont source de déceptions à venir.

A travers le cynisme, la philosophie se perd en même temps qu'elle trouve de nouveaux points d'ancrage. C'est une mise à bas des concepts philosophiques, intellectuels, pour l'émergence d'une philosophie en actes sur des bases nouvelles dévoilant la nature telle qu'elle nous a faits.


Quels exercices spirituels y sont associés ?


Les cyniques pratiquent leur philosophie en jetant une expression, une réflexion, une remarque mettant à mal l'interlocuteur.


Diogène, par de multiples provocations, n'hésitait pas, pour réveiller les esprits englués dans les conventions sociales, à traîner derrière lui un hareng en pleine ville, à s'exhiber faisant l'amour, à se masturber sur la place publique. Ces actes, cette méthode ne sont pas innocents pour le cynique. Il s'agit d'abandonner les fausses pudeurs, les faux respects d'autrui pour, enfin, pouvoir philosopher convenablement. Ce ne sont aucunement des provocations gratuites, provoquer sert à démontrer à quel point nos conventions sont ancrées dans des habitudes, dont on ne se demande plus si elles sont légitimes et utiles.


La philosophie de l'autarcie est au cœur de l'exercice spirituel des cyniques. Savoir être ce que l'on est sans besoin d'autrui en est l'essence, au risque s'il le faut, de posséder très peu, de vivre de très peu. Cette autarcie, c'est aussi savoir s'occuper de soi-même. L'exercice spirituel est propre à l'homme émancipé de toute transcendance, dégagé de toute religion. En effet l'existence de divinités ferait dans le même temps émerger la crainte que l'on pourrait en avoir, et cela serait nuisible au bonheur. Ces aspects sont d'autant plus probants dans la philosophie cynique que celle-ci dénonce les dévotions, les mythologies, les superstitions et toute la moralité qui peut en découler.

Dans le cynisme, on retrouve de nombreux traits de la pratique du dialogue comme exercice spirituel. Il y a une volonté de transmettre la philosophie par les actes et la parole. Il s'agit en outre de noter ici la forte nécessité de dialoguer avec soi-même, ce qui peut se faire grâce à la volonté qui conduit à l'ascèse, laquelle est capitale pour les cyniques. Lorsqu'un jour on demande à Diogène comment on pouvait devenir maître de soi, il répondit : "en se reprochant à soi-même ce que l'on reproche aux autres". Antisthène, à qui on demanda quel résultat il avait tiré de la philosophie, répondit : "être capable de vivre en compagnie de soi-même".

La pratique cynique est caractérisée par des règles qui conditionnent le "dire-vrai", privilégiant la parole dite avec une certaine vigueur, un certain courage. Il y a un lien entre la forme esthétique, belle, de l'existence et le franc-parler des cyniques. Le cynique observe, souligne, analyse ;  il éclaire. Grâce à ses analyses, il annonce la vérité, il dit les choses vraies, sans crainte.

Pour conclure : ce billet achève cette série sur ces trois courants philosophiques antiques grecs. J'y reviendrais un peu plus tard en abordant un ouvrage de Han Ryner, "Petit Manuel Individualiste". En espérant que cette série d'articles vous a permis de découvrir des principes philosophiques rarement abordés au lycée, et que cela vous a donné envie d'en apprendre plus à leur sujet.

dimanche 27 octobre 2013

Les Principes et Exercices Spirituels de la Philosophie Épicurienne

Avant-propos : deuxième billet à propos des philosophies antiques, cette fois-ci sur les principes épicuriens. Comme pour le stoïcisme, peu d'écrits ont été sauvés et nous sont parvenus intacts, et ce bien qu’Épicure fut un écrivain très fécond avec environ trois cents ouvrages. Hélas, il ne nous reste à disposition de l’œuvre d’Épicure seulement quelques sentences et maximes, ainsi que trois lettres se rapportant chacune respectivement à l’une des trois parties de la philosophie épicurienne (la physique, la canonique et l’éthique). Les notions développées ci-dessous proviennent principalement de la Lettre à Ménécée qui traite de l’éthique. 





Contrairement à ce qui est communément associé au terme "épicurien", Épicure montre qu'il faut avoir une vie particulièrement austère, une vie où le plaisir n'est pas dans la chair, mais dans l'ataraxie, c'est à dire l'absence de troubles. En effet, selon lui, le malheur des Hommes provient du fait qu'ils craignent des choses qui ne sont pourtant pas à craindre et qu'ils désirent des choses qu'il n'est pas nécessaire de désirer et qui de toutes façons leur échappent. Leur vie se consume ainsi dans le trouble des craintes injustifiées et de désirs insatisfaits. L'ataraxie est la seule voie possible pour atteindre la paix de l'âme ; la suppression des craintes et des désirs permet l'accès au plaisir.

Quels sont les principes épicuriens ?


La philosophie d’Épicure se résume en une seule maxime à travers le tetrapharmakos, le quadruple remède : "Les dieux ne sont pas à craindre, la mort ne donne pas de souci, le plaisir est facile à obtenir et la douleur, facile à supporter."

Les dieux ne sont pas à craindre
Les dieux dans l'Antiquité sont représentés sous diverses formes avec diverses fonctions. Ils tiennent une place importante sur ce qui advient après la vie, dans leur royaume. Cet espace inconnu - après la mort - est, de fait, l'objet de toutes les imaginations et de tous les fantasmes sur la puissance de ces dieux. Toutefois, l'inconnu suscite la crainte, et celle-ci contamine aussi le moment présent, le vivant. La démarche d’Épicure consiste à considérer l'ensemble de la nature comme physique, matérielle, sans aucun lien avec des éléments, substances, organisations métaphysiques quelconques issus des dieux ou d'autres croyances. La position d’Épicure relève d'une philosophie immanente : il n'y a pas, selon lui, de transcendance quelconque qui se trouverait au-dessus des Hommes et serait représentée par des dieux, des mythologies ou autres. Ce n'est pas pour cela qu'ils n'existent pas mais ils n'ont pas d'actions envers les Hommes qui agissent, vivent, évoluent dans un plan d'immanence le plus parfait. Tout est ici et maintenant, pris en charge autant que mis en œuvre par les Hommes, que ce soit le bien comme le mal, le bon et le mauvais, l'éthique et la morale. Les Hommes n'ont pas à craindre la colère des dieux, ni une vengeance ou punition ; ils n'ont pas non plus à en attendre des bienfaits, récompenses ou miracles. Ce principe d'immanence irrigue toute la philosophie épicurienne. Si tout est matériel, l'âme l'est aussi. Par conséquent l'âme peut être façonnée, notamment par soi. Et ce travail de la pensée, de la réflexion sert à montrer des évidences comme le fait que les dieux ne sont pas à craindre, ou encore que la mort n'est rien.

L'inexistence de la mort
Nier l'existence de la mort est une façon de ne pas la craindre. En effet, le fait de placer chaque jour la mort devant soi permet d'atteindre la grandeur d'âme. Cet exercice quotidien de la mort est l'un des points communs entre l'épicurisme et le stoïcisme. La mort est toujours à apprivoiser, c'est une donnée avec laquelle chacun doit composer de son vivant. Simplement dans l'épicurisme la mort est à mépriser, à nier car elle est inexistante. En effet, la mort nous est tout à fait étrangère, elle n'est pas là puisque nous sommes en vie, il est alors impossible de spéculer dessus, ou alors à mauvais escient. C'est dans la Lettre à Ménécée qu'il expose cet avis :  "Accoutume-toi à penser que la mort, avec nous, n'a aucun rapport ; car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or, la mort est privation de sensation. [...] Le plus terrifiant des maux, la mort, n'a donc aucun rapport avec nous, puisque précisément, tant que nous sommes, la mort n'est pas là, et une fois que la mort est là, alors nous ne sommes plus. Ainsi, elle n'a de rapport ni avec les vivants ni avec les morts puisque pour les uns elle n'est pas, tandis que les autres ne sont plus."

Subvenir aux désirs naturels et nécessaires
Il s'agit de se méfier des plaisirs qui ne sont pas naturels et semblent pouvoir rendre heureux. Le plaisir est constitutif de nos désirs et il s'agit pour atteindre le plaisir et être heureux, de savoir contrôler ses désirs. Épicure explique que ce sont ces désirs qui d'ailleurs sont communs aux Hommes et aux animaux. Il y a des désirs naturels et nécessaires, des désirs naturels mais non nécessaires, et des désirs non naturels et non nécessaires.
  • Les premiers désirs, naturels et nécessaires, sont les désirs fondamentaux que sont manger et boire. Il est naturel de manger et de boire, et c'est nécessaire pour se maintenir en vie. Ces désirs sont ceux qu’Épicure invite à rechercher exclusivement. La vie heureuse est fondée sur cette recherche de plaisirs simples, de modération.
  • Les deuxièmes désirs sont les désirs naturels mais non nécessaires. Le fait de manger des plats fins ou de se nourrir avec excès, l'activité sexuelle également, peuvent être classés dans cette catégorie.
  • Les troisièmes et derniers désirs sont ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires. Se trouve parmi ceux-là la recherche de l'argent, du pouvoir, des honneurs. Ces désirs non seulement ne sont ni naturels ni nécessaires à l'Homme pour vivre, mais lui sont nuisibles dans sa quête de vie heureuse.

Cette division des désirs ne suppose pas seulement que la vie heureuse réside dans l'obligation de vivre d'un peu d'eau et de pain, mais fonde la vie heureuse sur l'ataraxie. Épicure remet les choses à leur juste place, et montre que la vie heureuse dépend non pas d'un hasard ou d'un destin, mais des choix que l'on fait. Il faut donc se demander pour tout désir s'il est naturel et nécessaire, sachant que dans le cas contraire, si on ne le satisfait pas, il ne s'agira pas de souffrir car il n'est pas constitutif d'une vie heureuse.

Quels exercices spirituels y sont associés ?


C'est dans les trois lettres à ses disciples que l'on peut trouver des exercices spirituels chez Épicure, surtout dans la troisième, celle adressée à Ménécée, puisqu'elle s'interroge sur les modes de vie.

Comme chez les stoïciens, la pratique de la philosophie épicurienne prend corps dans la concentration sur soi, la prise de conscience de soi qui se trouve mise en place dans l'ascèse. Cette ascèse consiste à se concentrer sur les désirs naturels et nécessaires, à porter aussi son attention sur la conscience du moi dans le présent, en évitant de projeter ces désirs dans le futur. C'est pourquoi aussi la méditation, la concentration est intimement liée à l'exercice de la mort qu'il faut garder à l'esprit : il faut vivre chaque moment comme s'il était le dernier.


Le tetrapharmakos doit être vécu en continu pour être réellement efficace. Il s'agit de l'exercer quotidiennement pour l'ancrer dans la conscience. Ce tetrapharmakos rassemble en effet toutes les propositions épicuriennes : les dieux ne sont pas à craindre, puisqu'ils ne sont pas de ce monde. La mort n'est pas à craindre, puisque tant que nous sommes vivants elle n'est pas là, et quand nous serons morts elle ne sera plus là. Le plaisir est facile à se procurer, car il s'agit de se contenter des choses naturelles et nécessaires. Enfin la douleur est facile à supporter, car elle est soit éphémère, soit si terrible que l'on finit par en mourir.

L'ataraxie, c'est aussi l'absence de troubles acquise par l'anticipation, mais pas par une préméditation des maux comme chez les stoïciens. Épicure parle plus précisément d'une vue des choses utiles ou nuisibles. Dans la lettre à Hérodote, il fait allusion à ces anticipations en recommandant d'opérer des "projections" de la pensée sur les choses, de se demander par exemple : est-ce que cette action sera utile d'une façon ou d'une autre si je l'accomplis? quelle conséquence aura cet acte si je l'effectue? cela peut il être nuisible? Voilà les simples questions que recommande de se poser Épicure, cela dans le seul objectif de porter à la conscience les conséquences des actions que nous menons ou nous allons mener en essayant autant que faire se peut de les projeter en termes d'intérêts ou nuisances possibles.

Dans la Lettre à Ménécée, Épicure souligne la similitude entre la recherche philosophique et la recherche du bonheur : "Celui qui dit que le temps de philosopher n'est pas encore venu, ou que ce temps est passé, est pareil à celui qui, en parlant du bonheur, dit que le temps n'est pas venu ou qu'il n'est plus là."

Pour conclure : loin des idées préconçues sur l'épicurisme, cette philosophie se montre également exigeante et repose sur une ascèse stricte. Sa force repose sur le fait que ses principes puissent être résumés par une simple maxime qu'il est aisé de conserver à l'esprit afin d'appliquer quotidiennement ce quadruple remède. Cette philosophie a-t-elle votre préférence par rapport au stoïcisme? Ses principes vous semble-t-il plus facilement applicables? 

lundi 21 octobre 2013

Les Principes et Exercices Spirituels de la Philosophie Stoïcienne

Avant-propos : pour ce billet, je vous propose quelque chose de totalement différent (en tout cas pour l'instant). Je vais aborder dans cet article, et quelques autres dans un futur proche, une synthèse de plusieurs principes issus de différents courants de philosophie antique grecque. Ces principes et les exercices spirituels qui les accompagnent visent à me servir de bases de réflexion pour la création d'un jeu (d'une forme non encore déterminée) autour de ces thèmes. Pour cette nouvelle série d'articles, je vais débuter par la philosophie stoïcienne, dont les grands principes sont parvenus jusqu'à nous grâce au manuel d’Épictète. Les quelques notions résumées ci-dessous sont principalement tirées du livre "Exercices Spirituels, Leçons de la Philosophie Antique" de Xavier Pavie.


Quels sont les principes stoïciens ?

 

Vous trouverez ci-dessous une liste non exhaustive de ces principes :

  • vivre en harmonie avec la nature,
  • maîtriser les passions qui nuisent à son âme par sa propre imagination,
  • accepter et comprendre que tout ce qui arrive est conforme à un certain ordre universel,
  • préméditation des maux pour assurer la paix de l'âme et permettre une constance de l'âme, une sérénité permanente,
  • que le bien moral, à lui-même sa propre récompense, est la volonté de faire le bien, savoir juger chaque circonstance de la vie en s'en tenant à l'objectivité et accepter les événements ne dépendant pas de nous,
  • réaliser que les hommes sont malheureux parce qu'ils cherchent à atteindre des choses, des biens, qu'ils risquent tout simplement de ne pas obtenir,
  • avoir l'obligation de l'exercice quotidien sur soi à pratiquer en vue d'être "meilleur",
  • se détacher de ses désirs en distinguant ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous,
  • avoir une morale de l'effort : pratique de l'anticipation, projection de situations qui provoqueraient tristesse ou malheur. Profiter du moment où l'on est sans souci pour préparer son esprit à ce qui pourrait advenir,
  • savoir surmonter ses sentiments et sa tristesse, comprendre que ce qui advient n'est pas dépendant de nous,
  • de toute chose il ne faut pas être dépendant, que ce soit de la famille, encore plus de la gloire, ou de la richesse à laquelle il ne faut pas accorder d'importance,
  • ne jamais se croire en possession de quoi que ce soit,
  • ne pas considérer et encore moins souhaiter que les choses adviennent comme on le voudrait mais d'accepter que les choses arrivent comme elles arrivent,
  • pratiquer des exercices spirituels : se promener seul pour méditer, réfléchir sur ces projections, d'en profiter pour converser avec soi même. Avoir en permanence à l'esprit ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas.
Comme toute philosophie antique, celle-ci repose nécessairement sur la mise en adéquation des pensées et des actes. Le discours se doit d'être indissociable de la pratique et n'est même véritablement pertinent qu'à travers elle. Seule la mise en œuvre montre l'intérêt du discours. Pour ce faire, chaque philosophie propose de s'exercer à l'application de ses principes au travers d'exercices spirituels.
 

Quels exercices spirituels y sont associés ?


La mise en œuvre d'exercices spirituels s'effectue à la fois dans la pensée et le réel. Il s'agit d'élaborer une attitude intérieure qu'il faut confronter au réel et de contrôler la pensée au moment même où l'on est confronté au réel. Les confrontations au réel relèvent d'un travail, d'une épreuve, qu'il faut accompagner d'un travail de pensée de soi sur soi.

Un épanchement de l'âme qui nous porte vers les autres par obligation ou désir naturel risque de nous faire perdre le contrôle de nous-mêmes. Pour l'éviter, il s'agit de se répéter à soi même par un exercice de la pensée l'évitement de cet épanchement. Ainsi lorsqu'on embrasse son enfant, un proche, un ami, il s'agit de se répéter: "demain tu mourras", "demain, c'est moi qui partirai en exil et nous nous quitterons". Il s'agit par cet exercice spirituel de percevoir la fragilité de l'âme face à l'épanchement naturel, et de l'éviter le plus possible.

Un autre exercice est de savoir prendre de la distance face aux choses mais également d'avoir la capacité de s'en approcher le plus possible pour les définir et décrire pour en fixer la valeur. La description très analytique va même provoquer jusqu'à une forme de dédain vis-à-vis des choses environnantes qui auparavant pouvaient susciter de l'émotion. La prise de conscience de cette méprise à propos des éléments va nous permettre de nous libérer des choses et des sentiments dont nous risquons d'être dépendants. L'application de cette méthode stoïcienne permet de recouvrer ou de préserver notre liberté. Cet exercice de regard et cette nomination des différentes parties, aspérités, dans ses dimensions infimes, vont montrer la complexité de la réalité de l'objet, la fragilité de son existence. L'objectif de cet exercice est la compréhension et la description du monde dans l'intention d'acquérir de la grandeur d'âme.

Chez Épictète, l'exercice pourra prendre la forme d'une promenade. Il demandera de se promener, de regarder ce qui se passe autour de soi, de comprendre les différentes représentations qui s'offrent à soi, de s'exercer à les définir, de jauger ce en quoi elles consistent, notre dépendance par rapport à elle, etc. Épictète insiste aussi sur la nécessité de se remémorer un événement passé, de se rappeler sa nature, sa forme, son interaction avec le moi, le jugement à en avoir, etc.

Il faut une concentration sur les choses telles qu'elles peuvent être, une concentration également sur la conscience de soi. S'il n'éprouve pas de regret, ne se souvient de rien et ne pense pas au futur, c'est uniquement parce que le stoïcien cherche à se concentrer sur le présent, à poser son regard sur l'instant. L'instant, le moment présent, ce n'est rien d'autre que la conscience de soi, la conscience d'un moi agissant et vivant. Il faut savoir concentrer son attention sur ce qu'on pense sur le moment, sur ce qu'on fait à ce moment, sur ce qui arrive en ce même moment. C'est la seule possibilité de voir les choses réellement telles qu'elles se présentent à soi. A chaque instant pour les stoïciens, il faut que le philosophe soit parfaitement conscient de ce qu'il est et de ce qu'il fait.


Pour conclure : la philosophie stoïcienne est exigeante, et peu de personnes peuvent sans doute se vanter d'avoir atteint un stade avancé de sagesse correspondant à ses principes. On peut être d'accord avec une partie seulement de ses principes et en rejeter d'autres (ou ne pas voir l'intérêt de ceux-ci), et la mise en application de ces derniers demande une vraie implication personnelle. On verra dans de futurs articles, que certains considèrent cette philosophie comme l'aboutissement de toute recherche de sagesse. Et vous qu'en pensez-vous ? Vous verriez-vous appliquer certains de ces principes ou exercices spirituels dans votre vie quotidienne ?

lundi 14 octobre 2013

Sur l'importance de la notion de "choix" dans le jeu de rôle

Avant-propos: le jeu de rôle tend vers un idéal, celui où n'importe quoi peut être tenté, tant que cela reste plausible par rapport aux capacités d'un personnage et à la situation présentée. La sacro-sainte liberté de choix des joueurs est un graal souvent recherché mais rarement atteint. Le système de jeu peut-il avoir une influence sur cette liberté de choix ?  

Sans conflit interne il n'y a pas de choix, seulement des décisions


Il faut bien différencier la notion de décision de celle de choix. La première se base sur la raison, sur une évaluation, et il ne s'agit de choisir qu'entre des options parmi lesquelles une est clairement meilleure que les autres. La seconde, le choix véritable, requiert par contre de dépasser un conflit interne. Pour le dire autrement, pour qu'un choix véritable apparaisse, il faut que vous ayez deux objectifs qui entrent en conflit l'un avec l'autre. Vous devez alors choisir quel objectif vous voulez poursuivre au dépend de l'autre.

Le problème dans de nombreux jeux, c'est qu'un seul objectif est présenté aux joueurs (ou plusieurs objectifs mais qui ne sont pas en conflit). Du coup, il n'existe pas de choix à faire, seulement une évaluation et une décision à faire sur la meilleure méthode à utiliser pour atteindre cet objectif.

D&D4: du délicat équilibre entre le choix optimal et celui fictionnel


Le mode de jeu par défaut est : "quelle est l'action optimale que doit entreprendre maintenant mon personnage en tenant compte de la gamme de ses actions possibles ?". Il y a de fortes conséquences mécaniques si l'on suit une tactique de jeu médiocre. Donc, en faisant passer au premier plan les motivations d'un personnage, on pourrait penser que ses actions prennent d'autant plus de poids. Autrement dit, le fait qu'il existe des décisions optimales renforcerait le choix de faire du roleplay avec son personnage, car pour accomplir un objectif qui leur est propre il devrait alors sacrifier une action optimale...

Mais est-ce vraiment une manière de renforcer le poids du roleplay ? N'est-ce pas justement étrange ? Un jeu de rôle ne devrait-il pas être conçu de telle manière qu'on ne puisse pas ignorer ce qui a lieu dans la fiction ?

Même s'il est possible de favoriser une décision allant à l'encontre d'une action optimale en cours de jeu, au moment de la progression du personnage on retombe dans le schéma d'optimisation recherché et favorisé par le "cycle de récompense" du jeu. Et une fois en jeu, on n'a qu'une hâte c'est de tester ses tous nouveaux pouvoirs/talents, ce qui amène souvent à constater au bout d'une session de 3-4 heures de jeu avec 2-3 rencontres : "on s'est tellement éclaté qu'on a encore oublié de faire du roleplay !".

En focalisant D&D entièrement sur les mécaniques de combat, on simplifie de fait le jeu à un simple objectif. Cela tend à créer la recherche de l'effet "meilleure combinaison de pouvoirs/talents".  Soit vous jouez avec cette optimisation en tête, soit vous allez être dépassés en jeu par ceux qui suivent cette voie. Si au contraire vous encouragez plusieurs objectifs, le combat n'en étant qu'un parmi d'autres, vous ouvrez la possibilité d'avoir d'autres combinaisons optimales par rapport à d'autres objectifs. Sans que cela n’ôte la nécessité d'assurer un certain équilibre entre les différentes options, cela permet d'éviter d'avoir des personnages qui finissent par tous se ressembler "mécaniquement".

Mais l'équilibre, est-ce vraiment ce qu'il faut rechercher en jeu de rôle ? La recherche d'équilibre est souvent la réponse à une forme d'échec à proposer des choix intéressants, celui de la stratégie dominante (tiens, tiens...). Vous pouvez aussi avoir un manque de choix intéressants si tous les choix sont équivalents, ou s'ils ne sont en définitive que de faux choix. Ce qu'il faudrait plutôt rechercher comme expérience de jeu c'est d'arriver à provoquer chez les joueurs ce genre de réflexion : "si seulement j'avais fait x" pour que les choix effectués soient réellement significatifs.


Dogs in the Vineyard : quand le choix fictionnel s'impose sur celui optimal


Lors d'un enjeu élevé, la fiction qui naît de la discussion et des échanges "raise/see" peut s'imposer naturellement et faire que le joueur abandonne le conflit même s'il avait toutes les chances "mécaniques" de l'emporter. Avoir l'option d'abandonner comme moyen de valider la contribution d'un autre joueur dans le jeu fournit souvent les meilleurs moments de jeu.

Voici un exemple :
"Nous venions de juger que le Steward aurait pu se racheter pour ses crimes, et si nous l'avions jugé ainsi, alors cela aurait dû être la volonté de Dieu. Donc, cette femme [qui avait tué le Steward] s'était opposée à la volonté de Dieu!
Sœur Ellie [mon personnage] a immédiatement sorti ses flingues, a prononcé un jugement rapide sur la femme ("c'est la volonté de Dieu et vous devez mourir pour cela"), et s’apprêtait à tirer. Mais sœur Marika (jouée par Iain) était complètement contre ce jugement. Et c'est ainsi qu'a commencé le plus cool conflit de la campagne! Pas besoin de "réfléchir à l'enjeu" - le conflit était évidemment centré sur le fait de savoir si Sœur Ellie allait tué la femme ou non? Après plusieurs attaques et défenses, Marika a finit par prendre une balle pour la femme, et a été handicapée à la fois dans la fiction - se tordant de douleur au sol - et aussi en termes de jeu, puisque Iain était presque à court de dés.
Puis vint le retournement de situation. Iain poussa en avant quelques dés minables - comme deux 3 ou quelque chose comme ça - et fit dire tranquillement à la pauvre Marika "N'essaie pas d'être un bon Dog. Fait seulement ce que doit faire un Dog.".
Cette attaque a eu un tel effet sur moi que je me suis retrouvé sans voix, et à travers moi, sœur Ellie l'était aussi. J'ai regardé le gros tas de dés qu'il me restait et je ne pouvais en aucune façon les jouer en défense contre cette attaque sans invalider la signification des mots de Iain. Alors j'ai poussé mes dés de côté, et dit les deux meilleurs mots dans DitV: j'abandonne."


Dans le cas précis de cet exemple:

- Le système ne pousse pas le joueur à concéder, il le pousse à continuer et, au vu des dés, à gagner ce conflit. 
- Le joueur choisit d'abandonner non pas grâce à la partie mécanique du système, mais grâce aux envies du joueur (en fait, malgré la mécanique de résolution, qui semble le donner gagnant, et donc devrait le pousser, mécaniquement, à continuer).
- Il justifie le fait de ne pas suivre ce vers quoi le pousse la mécanique en invoquant la fiction.

L'essentiel de DitV se base justement sur l'opposition et la tension créées entre ce vers quoi te pousserait le système de résolution et ce que cela imposerait à ton personnage de réaliser dans la fiction. La démarche créative narrativiste est renforcée par ce biais justement parce qu'elle te demande constamment: "est-ce que tu es bien sûr de vouloir aller jusque là dans la fiction pour remporter mécaniquement le conflit ?". Ce qui n'est rien d'autre que la prémisse de DitV.

Pour conclure : par comparaison à d'autres jeux, pouvoir faire des choix véritables est une composante essentielle du jeu de rôle. Selon moi, cette notion de choix est une des clés de la définition du jeu de rôle. En ôtant toute possibilité aux joueurs de faire des choix significatifs, on enlève la raison première de faire du jeu de rôle. Y-a-t-il des systèmes de jeu qui favorisent ou au contraire découragent cette approche ? Qu'en pensez-vous ? 

lundi 7 octobre 2013

MJ : maître de jeu, meneur, arbitre, animateur, facilitateur, ambianceur, et puis quoi encore ?!

Avant-propos : j'ai suivi, il y a peu, une formation pour devenir formateur occasionnel et tout le long des deux jours qu'a duré cette formation, je n'ai pu m'empêcher de trouver en écho aux conseils de notre formatrice pour endosser au mieux le rôle de formateur, des notions qui renvoyaient aux fonctions du MJ. Voici ce que j'en ai retenu, peut-être y trouverez-vous comme moi quelques conseils utiles pour mieux endosser votre rôle de MJ, quelles que soient les fonctions que vous mettez derrière ce nom.


Les 4 rôles du formateur


En plus de l'expertise sur le domaine dans lequel le formateur doit intervenir (qui est un pré-requis naturellement), voici les 4 qualités que doit développer un formateur.

Orateur
Il s'agit d'utiliser un langage accessible, d'expliciter son propos, et retenir que la fluidité est plus importante que la qualité d'expression.

Animateur
Il s'agit d'occuper l'espace, d'alterner entre position assise et debout, de varier l'intonation et sa diction, d'alterner l'utilisation d'outils pédagogiques (ici donc plutôt de techniques de jeu), rythmer et ambiancer la session.

Pédagogue
Il s'agit de réussir à impliquer les participants, utiliser des questions ciblées, faire preuve de patience et de tolérance.

Manager
Il s'agit de se positionner en tant que leader (voir plus loin ce que cela implique), de gérer le groupe, de garantir l'équilibre (temps, participation, que chacun trouve sa place, faire des arrêts pour s'assurer que tout est clair, que tout le monde est dans le même train), de favoriser et assurer l'intérêt collectif, de maintenir la place de chaque participant, d'exercer une autorité constructive (différente de la notion de pouvoir) tout en sécurisant le groupe et en n'étant pas rigide sur le contenu.

Mise en oeuvre du Leadership


Voici les différentes notions et étapes qui se trouvent derrière l'idée de se positionner en tant que leader.

Phase de lancement
Elle comprend ce qu'on pourrait appeler un rituel de préparation, arriver un peu en avance, prendre un peu de temps seul avant de commencer. Il s'agit ensuite de présenter l'objectif collectif du groupe et la finalité de cette formation, bien clarifier pourquoi le groupe est présent et présenter clairement le contrat passé entre le formateur et les participants.

Distribution de la parole
Il s'agit d'établir clairement le cadre de communication, les règles de fonctionnement (prises de paroles, interventions, interruptions). Un tour de table peut être réalisé avec des questions orientées pour évaluer les attentes des différents participants, tout en alertant sur le fait que toutes les attentes ne pourront peut être pas comblées si elles sont trop différentes et trop éloignées du cadre prévu.

Préservation d'un avis / d'une opinion
Il s'agit de tourner de manière positive les interruptions et questions des participants, les inviter à participer mais de manière cadrée, faciliter la prise de paroles des personnes plus timides. Il s'agit également de ne pas rater les personnes qui seraient en désaccord, de leur demander ce qui les gênent ou sur quoi portent leurs désaccords, reconnaître leurs propos sans les censurer mais recadrer au nom de l'intérêt commun.

Recadrer / Gestion de l'auditoire
Il s'agit de savoir recadrer les participants par rapport à l'objectif de la formation (de la session), au sujet ou la question traitée, et à la gestion du temps disponible. Il s'agit de mettre en place une dynamique de groupe, qui part de la vision de chacun, passe par le compromis et se termine par la réalisation de l'objectif par un travail commun.

Faire des synthèses ponctuelles
Il s'agit de s'assurer que tout le monde est bien en accord avec ce qui vient d'être établi, et de désamorcer dès que possible tout désaccord qui pourrait resurgir plus tard sinon.

Un bon leader (et donc formateur, et a priori donc MJ), est celui qui parvient à conserver l'équilibre entre l'intérêt commun et l'intérêt individuel, il doit être directif sur la forme (autorité sur les règles implicites / explicites) et non directif sur le fond (droit à l'expression individuelle). En cas de déséquilibre, il peut devenir trop directif sur le fond (rigide, rigoureux) ou non directif sur la forme (laxisme, favorise trop l'ambiance, le plaisir individuel au détriment du groupe).

Pour conclure: que pensez-vous de ce rapprochement entre les fonctions de formateur et de MJ ? En voyez-vous d'autres indispensables ? Y-a-t'il d'autres méthodes pour favoriser la mise en place d'une dynamique de groupe ?

dimanche 29 septembre 2013

Ar-Agôn : La Communauté - La route continue sans fin...

Avant-propos : dernier jour avant soumission de mon adaptation au concours Vieux Pots Nouvelles Soupes 2013. Ces deux dernières semaines ont été plutôt chargées (et pas uniquement en ce qui concerne le travail sur Ar-Agôn...), ce qui explique l'absence d'article la semaine dernière. Du fait du nombre limité de pages autorisées par le concours, plusieurs éléments n'ont malheureusement pas pu y être inclus, je profite donc de cet article pour les partager avec vous.


Armes & Equipement



Bien que ce ne soit pas précisé dans la section correspondante d'Ar-Agôn, il est tout à fait logique de considérer qu'un personnage elfique dispose d'un équipement adapté comme une arme ou une armure de fabrication elfique dès la création. Une armure elfique peut être considérée comme protégeant de la même manière que le type d'armure souhaité mais sans les malus associés. De même pour les Dunedain, qui peuvent logiquement bénéficier facilement d'armes numénoréenes à la création, en tout cas tant que la période de jeu se déroule avant la chute de l'Arnor. Les forgerons nains étant aussi très réputés, les meilleures armures de mailles pourraient protéger aussi bien que des plates, et les armures en mithril seraient en plus exemptées des malus aux compétences associées.

Une autre précision absente du document final concerne les Hobbits. Du fait de leur petite taille, les aménagements suivants sont requis. Pour eux, une dague correspond à une épée courte, une épée courte à une épée large, et une épée large à une épée longue. Il en va de même pour les haches. Ceci signifie que les armes maniées par les Hobbits conservent leur dé d'arme initial mais qu'ils doivent considérer les mentions décrites dans la colonne "Spécial" du tableau pages 11 et 12 de l'arme de taille supérieure correspondante.

Je n'ai pas pu également, comme dans le jeu original, faire la liste de toutes les combinaisons possibles d'armes portées en mains gauche et droite, mais là, le bon sens de chacun devrait suffire pour y remédier.

Utilisation alternative de la Faveur des Valar


J'avais prévu initialement une autre utilisation possible de la dépense de points de Faveur des Valar, à savoir celle dénommée "Intervention d'un Emissaire". Ceci visait à simuler les interventions récurrentes de Gandalf au cours de l'aventure de Bilbo, intervention qui avait souvent pour résultat de le sortir lui et ses compagnons d'un très mauvais pas. J'ai décidé de ne pas conserver cette option car bien qu'intéressante elle n'allait pas dans le sens de permettre aux Héros de gagner de la gloire de cette manière, et qu'ils préféreraient sans doute utiliser leurs points de Faveur des Valar d'une autre manière plus adaptée.



Exemples d'Objectifs de Campagnes


J'avais également l'idée de proposer quelques idées de campagne pour différentes périodes de jeu, ceci n'a pas été possible faute de place, voici résumées ci-dessous quelques propositions.


TA 1300-1389 : l’Ascension d’Angmar
Une campagne à cette période se focalisera sur le conflit émergent avec Angmar et celui interne en Arnor.

TA 1430-1450 : la Lutte Fratricide
Une campagne à cette période serait hautement politique, les PJs pouvant être des supporters loyaux d’Eldacar.

TA 1634-1640 : la Grande Peste
Une campagne à cette période se focaliserait sur le thème du déclin, du délabrement et de la renaissance de l’espoir à la fin de la Grande Peste.

TA 1851-1944 : la Bataille de Dagorlad
Une campagne à cette période pourrait avoir pour climax la fameuse Bataille de Dagorlad.

TA 1940-1945 : la Réunification
Une campagne à cette période pourrait se focaliser sur l’implication des PJs vis-à-vis de la prétention d’Arvedui au trône du Gondor.


TA 1974-1975 : la Destruction de l’Arnor et la Chute du Roi-Sorcier
Une campagne à cette période pourrait voir les PJs se faire confier la mission d’aller quérir l’aide du Gondor dès 1973.

TA 1980-2050 : la Chute de Minas Ithil et la Fin du Gondor
La cérémonie de prise de régence de l’intendant Mardil constitue une résonance particulière en prévision du Retour du Roi.

TA 2060-2460 : la Paix Vigilante
Une campagne à cette période pourrait demander aux PJs d’espionner Dol Guldur pour le compte des Sages, puis de nettoyer la région après la fuite de Sauron.

TA 2740-2759 : le Rohan assiégé et le Long Hiver
Une campagne à cette période donnerait la possibilité aux PJs de participer à la bataille originale du gouffre de Helm, préfigurant celle du Seigneur des Anneaux.

TA 2790-2799 : la Guerre entre Nains et Orques
Une campagne à cette période serait l’occasion de former une compagnie uniquement constituée de PJs nains.

TA 2911-2912 : le Cruel Hiver
Une campagne à cette période pourrait attribuer cet aléa climatique à l’action d’un agent de Sauron revenu à Angmar avec un objet de pouvoir pouvant contrôler le climat. Les PJs pourraient alors aider les Rôdeurs du Nord à découvrir et défaire cette menace.


Pour conclure: dès que j'aurais envoyé officiellement ma contribution au concours je mettrais à disposition en téléchargement Ar-Agôn. En espérant que vous apprécierez sa lecture et que cela vous donnera envie d'acquérir Agôn pour jouer autant au jeu original qu'à cette adaptation dans l'univers de Tolkien. Tous les commentaires et questions sont les bienvenus, j'y répondrais avec plaisir ici.