Avant-propos : le cynisme est un courant philosophique créé par Antisthène, mais dont le plus célèbre représentant est Diogène de Sinope. Ce dernier a accumulé un grand nombre d'anecdotes et de bons mots, grâce à son art de l'invective et de la parole mordante. Mais le héros et modèle des philosophes cyniques est Héraclès, car c'est un héros qui ne se laisse influencer par personne, est libre et n'a pas d'attachement particulier. Les cyniques proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire. Je vais vous présenter succinctement les principes et la mise en pratique de cette philosophie, et si vous voulez en savoir plus je vous conseille la lecture de l'excellent ouvrage de Michel Onfray à ce sujet.
Quels sont les principes cyniques ?
L'ensemble de la philosophie cynique repose sur la volonté de renverser l'ordre établi, les conventions sociales à l'endroit d'une civilisation où la réussite sociale, la gloire et la richesse sont des valeurs dominantes.
Selon les cyniques, la vertu est la même pour tous les individus et elle peut s'apprendre. Il s'agit pour cela de désapprendre ce qui est mal en écartant notamment toutes les traditions, les conventions sociales. La vertu ainsi que l'effort sont pour les cyniques ce qui constitue la richesse, celle-ci s'oppose à tous les biens matériels qui font courir les Hommes. Et pour cela il n'est pas besoin de grandes qualités intellectuelles, mais seulement de volonté. C'est elle qui permet d'acquérir les qualités du cynique : l'endurance, la maîtrise de soi, l'impassibilité. Cette volonté, outre la vertu, permet de savoir comment se comporter, et se maîtriser face à la souffrance quotidienne, tous les obstacles à venir de la vie, que ce soit la mort, la faim, la soif...
Mieux vivre, mieux-être, vivre du mieux possible sont aussi les bases de la philosophie cynique. Les aléas de la fortune, les angoisses de la possession, la quête du pouvoir sont tout autant d'éléments qui peuvent nuire à une vie bonne et sans souci. Pour eux, c'est l'apathie qu'il s'agit de viser, qui, avec la liberté et l'autarcie, fait émerger le bonheur. Cette apathie réside dans la volonté de se retrouver dans un état suffisamment serein pour affronter les aléas de la vie, du quotidien, sans éprouver de souffrance. Pour atteindre l'apathie, les cyniques invitent à s'inspirer de deux ordres : le monde animal - les animaux ont des besoins très restreints - et le monde divin - dans l'imaginaire collectif, les dieux n'ont pas de besoin ; il s'agit de tendre vers cette attitude. Selon les cyniques, les plaisirs sont trompeurs car ils n'apportent qu'un bonheur éphémère, vain et sont source de déceptions à venir.
A travers le cynisme, la philosophie se perd en même temps qu'elle trouve de nouveaux points d'ancrage. C'est une mise à bas des concepts philosophiques, intellectuels, pour l'émergence d'une philosophie en actes sur des bases nouvelles dévoilant la nature telle qu'elle nous a faits.
Quels exercices spirituels y sont associés ?
Les cyniques pratiquent leur philosophie en jetant une expression, une réflexion, une remarque mettant à mal l'interlocuteur.
Diogène, par de multiples provocations, n'hésitait pas, pour réveiller les esprits englués dans les conventions sociales, à traîner derrière lui un hareng en pleine ville, à s'exhiber faisant l'amour, à se masturber sur la place publique. Ces actes, cette méthode ne sont pas innocents pour le cynique. Il s'agit d'abandonner les fausses pudeurs, les faux respects d'autrui pour, enfin, pouvoir philosopher convenablement. Ce ne sont aucunement des provocations gratuites, provoquer sert à démontrer à quel point nos conventions sont ancrées dans des habitudes, dont on ne se demande plus si elles sont légitimes et utiles.
La philosophie de l'autarcie est au cœur de l'exercice spirituel des cyniques. Savoir être ce que l'on est sans besoin d'autrui en est l'essence, au risque s'il le faut, de posséder très peu, de vivre de très peu. Cette autarcie, c'est aussi savoir s'occuper de soi-même. L'exercice spirituel est propre à l'homme émancipé de toute transcendance, dégagé de toute religion. En effet l'existence de divinités ferait dans le même temps émerger la crainte que l'on pourrait en avoir, et cela serait nuisible au bonheur. Ces aspects sont d'autant plus probants dans la philosophie cynique que celle-ci dénonce les dévotions, les mythologies, les superstitions et toute la moralité qui peut en découler.
Dans le cynisme, on retrouve de nombreux traits de la pratique du dialogue comme exercice spirituel. Il y a une volonté de transmettre la philosophie par les actes et la parole. Il s'agit en outre de noter ici la forte nécessité de dialoguer avec soi-même, ce qui peut se faire grâce à la volonté qui conduit à l'ascèse, laquelle est capitale pour les cyniques. Lorsqu'un jour on demande à Diogène comment on pouvait devenir maître de soi, il répondit : "en se reprochant à soi-même ce que l'on reproche aux autres". Antisthène, à qui on demanda quel résultat il avait tiré de la philosophie, répondit : "être capable de vivre en compagnie de soi-même".
La pratique cynique est caractérisée par des règles qui conditionnent le "dire-vrai", privilégiant la parole dite avec une certaine vigueur, un certain courage. Il y a un lien entre la forme esthétique, belle, de l'existence et le franc-parler des cyniques. Le cynique observe, souligne, analyse ; il éclaire. Grâce à ses analyses, il annonce la vérité, il dit les choses vraies, sans crainte.
Pour conclure : ce billet achève cette série sur ces trois courants philosophiques antiques grecs. J'y reviendrais un peu plus tard en abordant un ouvrage de Han Ryner, "Petit Manuel Individualiste". En espérant que cette série d'articles vous a permis de découvrir des principes philosophiques rarement abordés au lycée, et que cela vous a donné envie d'en apprendre plus à leur sujet.
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