Avant-propos: ce post va aborder un élément important à considérer lors du design d'un jeu de rôle, ce que V. Baker appelle "The Fruitful Void". Il est primordial de prendre en compte cet élément de design lorsque l'on travaille à la création d'un jeu, que celui-ci veuille finalement favoriser une approche ludiste ou narrativiste. Nous verrons, à travers l'exemple de deux jeux au thème très similaire, comment un même aspect peut être traité très différemment...et avec des résultats très disparates.
Pour une question d'Honneur
L'Honneur dans L5A est un paramètre chiffré, et est sensé "refléter principalement la manière dont un samouraï évalue sa propre capacité a adhérer aux principes du Bushido et à obéir aux tâches assignées par son seigneur (...)" et de plus "Bien que l'Honneur soit initialement une mesure personnelle, cette caractéristique dispose aussi d'un aspect externe car l'Honneur d'un samouraï a un grand impact sur la manière dont il se comporte et donc la manière dont les autres le perçoivent.", et ce selon la page 70 de la quatrième édition du livre de règles. A partir de là, un personnage gagne de l'Honneur quand il accomplit des actions honorables, et il en perd quand il effectue des actions déshonorantes. C'est un compteur d'état indiquant si le personnage est en accord ou non avec les valeurs morales de Rokugan.
Le problème est que la référence morale n'est pas la même pour tous à Rokugan, il existe des conceptions divergentes de la nature de l'Honneur selon les différents Clans et aussi du fait qu'un samouraï puisse être un shugenja et non un bushi (et donc pas un combattant devant suivre les principes du bushido). Hors, dans un jeu de rôle, un paramètre de jeu doit obéir à des critères objectifs de résolution, sinon il peut être remis en cause à tout moment. Alors comment se satisfaire du fait, qu'un aspect comme l'Honneur qui est au cœur de L5A, soit basé sur une définition aussi floue et ne permettant pas à tous autour de la table d'en avoir une compréhension claire.
De l'aveu même de Timothy Kleinert, l'auteur de "The Mountain Witch", il n'a pas conçu son jeu en pensant "comment faire un jeu à propos de l'Honneur sans utiliser un score d'Honneur ?", mais il était surtout concerné par l'idée de créer une forme de tension entre les personnages/joueurs. Et cette tension en fait tourne autour de la question : "comment réussirais-je à me comporter honorablement face à des devoirs, des responsabilités et des loyautés conflictuels ?". La solution qu'il a trouvée pour accomplir cela c'est de donner à chaque personnage une raison de rester ensemble (Trust) et une de trahir (Fate): "je dois faire confiance aux autres rônins, parce que j'ai besoin de leur aide pour tuer la Sorcière de la Montagne. Ils doivent aussi me faire confiance pour la même raison. Cependant, ils ne peuvent pas me faire entièrement confiance parce que j'ai un objectif personnel (Fate) opposé aux leurs, et je ne peux pas leur faire confiance parce qu'eux aussi ont un objectif personnel opposé au mien. La Montagne essaie de nous tuer, nous devons nous entraider mais nous ne pouvons pas nous faire entièrement confiance. Que faisons-nous ?". Ces forces conflictuelles créent alors de la tension.
L'idée qu'il prône c'est que si vous voulez que quelque chose soit important aux yeux des joueurs, vous devez leur donner toute liberté et choix sur cet aspect. Selon lui, si vous automatisez cet aspect (en le régulant mécaniquement, en le laissant à la seule autorité du MJ, ...), les joueurs n'auront pas à y penser et alors ne s'en préoccuperont pas. A chaque fois que vous créez, lors de la conception d'un jeu, un point de décision, les joueurs sont alors forcés d'y penser et alors cela devient important en jeu. L'Honneur n'est plus alors une valeur chiffrée, mais il se traduit en jeu par les comportements et actions des personnages selon les choix des joueurs.
Le problème est que la référence morale n'est pas la même pour tous à Rokugan, il existe des conceptions divergentes de la nature de l'Honneur selon les différents Clans et aussi du fait qu'un samouraï puisse être un shugenja et non un bushi (et donc pas un combattant devant suivre les principes du bushido). Hors, dans un jeu de rôle, un paramètre de jeu doit obéir à des critères objectifs de résolution, sinon il peut être remis en cause à tout moment. Alors comment se satisfaire du fait, qu'un aspect comme l'Honneur qui est au cœur de L5A, soit basé sur une définition aussi floue et ne permettant pas à tous autour de la table d'en avoir une compréhension claire.
De l'aveu même de Timothy Kleinert, l'auteur de "The Mountain Witch", il n'a pas conçu son jeu en pensant "comment faire un jeu à propos de l'Honneur sans utiliser un score d'Honneur ?", mais il était surtout concerné par l'idée de créer une forme de tension entre les personnages/joueurs. Et cette tension en fait tourne autour de la question : "comment réussirais-je à me comporter honorablement face à des devoirs, des responsabilités et des loyautés conflictuels ?". La solution qu'il a trouvée pour accomplir cela c'est de donner à chaque personnage une raison de rester ensemble (Trust) et une de trahir (Fate): "je dois faire confiance aux autres rônins, parce que j'ai besoin de leur aide pour tuer la Sorcière de la Montagne. Ils doivent aussi me faire confiance pour la même raison. Cependant, ils ne peuvent pas me faire entièrement confiance parce que j'ai un objectif personnel (Fate) opposé aux leurs, et je ne peux pas leur faire confiance parce qu'eux aussi ont un objectif personnel opposé au mien. La Montagne essaie de nous tuer, nous devons nous entraider mais nous ne pouvons pas nous faire entièrement confiance. Que faisons-nous ?". Ces forces conflictuelles créent alors de la tension.
L'idée qu'il prône c'est que si vous voulez que quelque chose soit important aux yeux des joueurs, vous devez leur donner toute liberté et choix sur cet aspect. Selon lui, si vous automatisez cet aspect (en le régulant mécaniquement, en le laissant à la seule autorité du MJ, ...), les joueurs n'auront pas à y penser et alors ne s'en préoccuperont pas. A chaque fois que vous créez, lors de la conception d'un jeu, un point de décision, les joueurs sont alors forcés d'y penser et alors cela devient important en jeu. L'Honneur n'est plus alors une valeur chiffrée, mais il se traduit en jeu par les comportements et actions des personnages selon les choix des joueurs.
Creatio ex nihilo
Dans Dogs in the Vineyard (DitV), par exemple, le jeu est à propos de la foi, du pêché et du jugement, mais il n'y a aucune mécanique à propos de la foi, du pêché et du jugement, pas de score de foi, de points de jugement ou de mesure du pêché. Cependant, les mécaniques existantes, quand elles sont appliquées, poussent la situation de telle manière que la foi, le pêché et le jugement soient au cœur du jeu. A gauche se trouve un schéma de V. Baker qui montre les mécaniques de DitV en action. Le but de toutes ces flèches est de maintenir une pression sur les actions des personnages. Toutes les règles du jeu travaillent dans le sens d'être sûr que quelle que soit votre action, le jeu est et reste sous pression. Ainsi, il existe un vide dans les mécaniques de jeu en regard des thèmes abordés, le centre du tourbillon sur le schéma, mais il s'agit d'un vide créatif parce que les mécaniques existantes forcent les joueurs à répondre à ces thèmes.
Les jeux à tendance narrativiste ou ludiste sont des jeux à "dilemmes": s'il existe un meilleur choix évident (moralement pour le narrativisme, tactiquement pour le ludisme), alors le jeu en soit n'existe pas; l'intérêt d'un jeu c'est de devoir faire des choix difficiles parmi des options imparfaites mais toutes valables. Un jeu à tendance ludiste ou un scénario qui aurait (explicitement ou implicitement) une seule option stratégique optimale serait l'équivalent d'un jeu à tendance narrativiste où le concepteur ou MJ aurait déjà répondu à la question posée par la prémisse du jeu: le seul rôle alors des joueurs serait de la découvrir et de se "prosterner" devant sa vérité absolue.
Autrement dit, ce vide créatif qui existe dans certains jeux, et qui est comblé par les joueurs selon leurs décisions, c'est en fait le divertissement que nous procure un jeu même s'il n'existe pas de mécaniques ou de systèmes de récompense qui nous pousse à le rechercher.
Pour conclure: J'ai du mal à voir où se situe et en quoi consiste ce vide créatif dans les jeux à tendance simulationniste, des idées ? Connaissez-vous d'autres jeux où ce vide créatif apparaît clairement et pour lesquels les mécaniques de jeu ont été pensées expressément pour cela ?
Autrement dit, ce vide créatif qui existe dans certains jeux, et qui est comblé par les joueurs selon leurs décisions, c'est en fait le divertissement que nous procure un jeu même s'il n'existe pas de mécaniques ou de systèmes de récompense qui nous pousse à le rechercher.
Pour conclure: J'ai du mal à voir où se situe et en quoi consiste ce vide créatif dans les jeux à tendance simulationniste, des idées ? Connaissez-vous d'autres jeux où ce vide créatif apparaît clairement et pour lesquels les mécaniques de jeu ont été pensées expressément pour cela ?